Jamais dans l’histoire du tennis canadien il n’y a eu une journée comme jeudi à Roland-Garros. Pendant un total de sept heures et 24 minutes, deux joueurs canadiens — Denis Shapovalov et Leylah Annie Fernandez — ont tenu en haleine leurs compatriotes qui les suivaient de loin.

Shapovalov a disputé ce qui a sans aucun doute été le meilleur et le plus audacieux match jamais disputé par un Canadien à Roland-Garros, mais s’est incliné 7-5, 6-7(5), 6-3, 3-6 et 8-6 dans une bataille passionnante de cinq heures face à Roberto Carballes Baena après avoir servi pour le match à deux reprises et avoir été deux fois à deux points de sceller l’issue de la rencontre.

Vingt-cinq jours après avoir célébré son 18e anniversaire de naissance, Fernandez est devenue la plus jeune Canadienne — Carling Bassett-Seguso était âgée de 19 ans en 1987 — à atteindre le troisième tour à Paris grâce à un gain de 6-4, 3-6 et 6-1 face à la 47e mondiale Polona Hercog, en deux heures et 26 minutes.

Le duel entre Shapovalov et Carballes Baena était tout simplement envoûtant et les deux protagonistes ont tout donné sur le terrain. Shapovalov a été explosif jusqu’à la fin, tandis que Carballes Baena a tenu le coup même si le Canadien, neuvième tête de série, faisait tout son possible pour le faire déborder.

Malheureusement pour Shapovalov (à un moment plus heureux ci-dessus), deux statistiques en disent long sur l’histoire du match même s’il a fourni des efforts héroïques. Il a obtenu un pourcentage de réussite de 71 % au filet (73/103), mais les deux derniers points, lorsqu’il servait à 6-7 à la cinquième manche, se sont soldés par des volées ratées — une dans le filet, l’autre à l’extérieur des limites du terrain. De plus, avant ces deux derniers points, les joueurs avaient tous les deux remporté 194 points chacun. À cause de ces deux volées ratées, le compte final était de 196 à 194 en faveur de l’Espagnol, 101e mondial.

« Avec ces balles, c’est impossible de frapper un coup gagnant (il en a réalisé 65 pour aller avec ses 106 fautes directes) », a fait remarquer Shapovalov, en exagérant un peu, à propos de ses deux incursions fatidiques au filet à la fin du match. « Je me suis donc dit qu’il valait mieux monter au filet que de rester indéfiniment au fond et disputer un match de 10 heures. Oui, honnêtement, c’est la raison pour laquelle je montais. Il n’y avait tout simplement pas de raison de rester au fond. »

Les revirements à la fin de la rencontre étaient surréalistes. Alors qu’il servait pour le match à 5-4 de la manche ultime, Shapovalov était en parfait contrôle à 30-0. Carballes Baena s’était bien battu, mais il semblait que ce n’était qu’une formalité avant que le joueur de 21 ans de Thornhill, en Ontario, n’en finisse avec lui. Cependant, après avoir contesté un appel sur la ligne de fond de Carballes Baena qui a ramené la marque à 30-30, Shapovalov a commis deux fautes directes pour niveler le score à 5-5.

Puis, alors que tout allait soudainement en sa faveur lorsqu’il servait à 30-0 au jeu suivant, Carballes a commis une double faute et a finalement perdu le jeu alors que Shapovalov réalisait une volée gagnante.

Ayant une nouvelle chance de servir pour le match à 6-5, Shapovalov a commis sa 11e double faute, mais est parvenu à faire 30-30, puis 40-40 après avoir effacé deux balles de bris. Toutefois, après une faute du coup droit, puis un revers gagnant de Carballes Baena, c’était 6-6.

L’Espagnol de 27 ans a ensuite conservé son service, aide, entre autres, par des retours manqués par Shapovalov.

Lors du dernier jeu, Shapovalov a commis une double faute pour faire 15-30, puis a produit son septième ace pour niveler la marque à 30-30. Par la suite, ses deux volées ratées ont mis fin au drame fascinant sur le Court Suzanne Lenglen, pratiquement désert en cette période de pandémie.

Impossible de dire à quel point Shapovalov a bien joué en fond de terrain. Des joueurs puissants, avec un revers à une main, qui produise des coups de son acabit — dont le Français Henri Leconte dans les années 1980, l’Allemand Boris Becker dans les années 1980 et 1990, le Tchèque Petr Korda dans les années 1990 et le Suisse Roger Federer au 21e siècle — ont généralement du mal à rester agressif dans les échanges en fond de terrain sur la terre battue quand ils affrontent un adversaire aussi régulier que l’était Carballes Baena — surtout dans des conditions comme celles de jeudi où la surface est lente par des températures de 15 degrés Celsius.

Shapovalov avait aussi donné un tel spectacle dans une défaite de 6-4, 5-7 et 7-6(4) contre Diego Schwartzman en demi-finale de l’Omnium d’Italie, bien qu’il ait souligné qu’il faisait beaucoup plus chaud à Rome.

« Honnêtement, j’ai l’impression que les conditions de jeu n’auraient pas pu être plus difficiles pour moi, avec des balles si lourdes et une température aussi froide », a confié Shapovalov. « J’ai un style de jeu agressif, j’aime entrer dans le terrain, mais il avait tellement de temps pour réagir que c’était difficile. Je suis vraiment heureux d’avoir pu me mettre en position de gagner, et puis à la fin, j’ai juste été un peu malchanceux. S’il avait raté son retour d’un pouce, ç’aurait été 40-15 (à 5-4 dans la cinquième manche). Ç’aurait été une tout autre histoire — c’était donc juste un peu de chance à la fin. J’ai fait tout ce qu’il fallait aujourd’hui, mais ça n’a pas tourné en ma faveur. »

« Je pense que je joue du bon tennis, alors je veux continuer ainsi. Je suis content d’avoir gagné mon premier match, car ces conditions étaient complètement contre moi. Je suis donc satisfait du tennis que je joue. Je ne vais pas laisser ce tournoi m’affecter et je vais simplement continuer. »

Il a mentionné qu’il s’était fait mal à l’ischiojambier — et a reçu les soins du physio au milieu de la deuxième manche —, mais il a laissé entendre qu’il ne s’agissait pas d’un problème sérieux.

Si Shapovalov était déçu d’avoir raté une belle occasion, le vainqueur, Carballes Baena, ne tenait plus en place après son triomphe. Durant son entrevue d’après-match sur le terrain avec Cédric Pioline, l’Espagnol a déclaré : « C’est un rêve pour moi de gagner un match comme celui-ci sur ce terrain. »

Carballes Baena, qui a remporté 18 titres sur le Circuit Challenger et dont la plus grande victime à ce jour était David Goffin, a ajouté : « J’ai essayé d’être solide et de me concentrer sur mon jeu. Shapovalov sert très bien et il est très agressif, mais je pense que j’ai fait un très bon match. C’est incroyable, c’est la première fois que je bats un Top 10 (en fait, Shapovalov est 11e cette semaine), la première fois que j’atteins le troisième tour d’un Grand Chelem et ma première victoire en cinq manches. Je ne pourrais pas être plus heureux. »

Le style de jeu explosif de Shapovalov est aussi époustouflant que possible. Pendant un certain temps, on a cru que Nick Kyrgios allait devenir le prodige moderne du circuit professionnel. Mais maintenant, c’est clairement Shapovalov avec un arsenal de coups exceptionnels et — quelque chose qui passe peut-être inaperçu — son excellente condition physique. Jeudi, il a été capable de performer au maximum et avait l’air plus en forme que Carballes Baena dans les derniers moments du match.

Cette défaite ne sera pas un bon souvenir pour Shapovalov, mais elle peut servir de tremplin pour l’avenir, car il confirme son statut de joueur le plus spectaculaire du tennis masculin.

Fernandez, ou n’importe qui d’ailleurs, ne pourra pas rivaliser avec le flair de Shapovalov, mais elle est son égale en matière de détermination et d’engagement.

La 100e mondial — elle devrait se hisser au 86e rang après sa victoire de jeudi — est une boule d’énergie infatigable, qui ne recule jamais devant la tâche à accomplir sur le terrain.  

Jeudi, contre la 47e Hercog, Fernandez a frappé la balle comme un métronome. Elle a contrôlé la plupart des échanges, terminant le match avec 28 coups gagnants et 31 fautes directes comparativement à 31/42 pour Hercog.

Il était évident que Fernandez n’allait jamais reculer et cela a finalement affecté Hercog.

La progression de Fernandez est remarquable. En effet, en janvier, elle se qualifiait pour son premier tableau principal d’un Grand Chelem en Australie, puis a franchi un tour aux Internationaux des États-Unis le mois dernier, et la voici au troisième tour à Roland-Garros.

Son ambition sur le terrain contraste avec sa modestie et son amabilité à l’extérieur du terrain qui font d’elle un agréable ajout au rang des meilleurs joueurs de tennis canadiens. « Je ne pense pas avoir beaucoup changé », a-t-elle dit après sa victoire de jeudi en se comparant à ce qu’elle était il y a 15 mois lorsqu’elle a remporté le titre junior de Roland-Garros. « Je suis toujours aussi énergique et aussi polie et gentille. Je ne suis quand même qu’une jeune fille qui essaie de tracer sa voie chez les professionnelles. Je suis simplement heureuse d’être ici. C’est un grand tournoi, c’est un honneur d’être de retour chez les professionnelles, de disputer un tournoi du Grand Chelem. Je suis heureuse d’avoir gagné et d’accéder au troisième tour. »

Contre Hercog, il lui a fallu 13 minutes pour briser le service de sa rivale lors du premier jeu de la troisième manche avant de concéder son propre service. Mais elle s’est ensuite accrochée et a complètement épuisé Hercog, remportant cinq jeux consécutifs pour conclure le match.

« C’est surtout ma combativité et mon travail acharné », a-t-elle mentionné pour expliquer ses succès à Roland-Garros. « Ces deux adversaires sont d’excellentes joueuses. Il y a une raison pour laquelle Magda (Linette, 31e tête de série) et Polona font partie du Top 50. Je n’ai jamais pensé que ce serait facile. J’étais contente de pouvoir rivaliser avec elles, de me battre jusqu’à la fin. »

Fernandez et sa famille — son père Jorge, sa mère Irène et sa jeune sœur Bianca — ont fait beaucoup de sacrifices pour sa carrière, entre autres en déménageant de Montréal à Boynton Beach, en Floride, il y a deux ans. Son troisième tour lui permettra de récolter une bourse de 126 000 euros ou 195 500 $ canadiens.

« Je suis contente de recevoir cette bourse, mais je ne pense pas à cela. Je pense à mes matchs, mes prochains points de classement. J’espère réussir à gagner ma prochaine rencontre (contre la 7e tête de série Petra Kvitova), mais je sais que ce ne sera pas facile. »

Son objectif était de faire partie du Top 100 d’ici la fin de l’année, mais cela a changé. « J’aimerais être dans le Top 60, le Top 50 le plus rapidement possible pour l’an prochain. »

Kvitova, qui occupe actuellement le 11e rang mondial, ne sera pas de tout repos. Toutefois, cette année, elle a vaincu la cinquième mondiale Belinda Bencic lors de la rencontre de la Fed Cup entre le Canada et la Suisse, en février.  

Vendredi, Eugenie Bouchard tentera d’accéder aux huitièmes de finale lorsqu’elle croisera le fer avec la 54e mondiale Iga Swiatek. La Polonaise de 19 ans a déjà beaucoup d’expérience à Roland-Garros. En 2018, elle a participé à la demi-finale chez les juniors et a terminé l’année au 175e échelon de la WTA, avant de se hisser au 61e rang à la fin de 2019, année où elle avait pris part aux huitièmes de finale à Paris.

« J’ai toujours beaucoup appris ici », a commenté Swiatek après sa victoire de 6-1 et 6-4 aux dépens de Hsieh Su-Wei, au deuxième tour. « La plupart des grandes étapes que j’ai franchies ont eu lieu ici. Même l’an dernier, lorsque j’ai perdu contre Simona Halep sur le Court Philippe-Chatrier et que le match a duré 40 minutes, j’ai beaucoup appris. »

Swiatek (ci-dessous) et Bouchard s’affronteront sur le Court Simonne-Mathieu à compter de 11 h (5 h HE).

Photo: WTA Tour

Mercredi, Bouchard a eu besoin de trois manches pour venir à bout de la tenace Daria Gavrilova en des comptes de 5-7, 6-4 et 6-3.

En gagnant en confiance, Bouchard a pris le contrôle des échanges et, lors des derniers jeux, elle produisait coup gagnant après coup gagnant contre l’Australienne de 26 ans.

Bouchard ressemble de plus en plus à la joueuse qui a atteint le carré d’as de Roland-Garros en 2014. C’est la première fois depuis ce temps qu’elle franchit le deuxième tour et son classement devrait passer du 168e au 140e rang.

Elle prétend (et semble) être plus en forme que jamais après avoir travaillé pendant le hiatus avec le célèbre entraîneur physique Gil Reyes, à Las Vegas. Elle apprécie également davantage son sport alors qu’elle en est à sa huitième année sur le circuit.    

« J’essaie de saisir toutes les occasions, car je sais qu’il n’y en a pas beaucoup. Il n’y a que deux autres tournois de la WTA d’ici la fin de l’année — à Ostrava, en République tchèque, le mois prochain, et à Limoges, en France, en décembre. »

Une victoire contre Swiatek permettrait à Bouchard de grimper autour du 114e échelon, se rapprochant ainsi du 108e rang, qui est la limite pour les Internationaux d’Australie de 2021 — cela dépend aussi des retraits et des joueuses inscrites en vertu d’un classement protégé.  

ON S’HABILLE CHAUDEMENT À PARIS

Alors que la température était de 16 degrés Celsius mercredi soir, les spectateurs du Court Philippe-Chatrier avaient sorti leur garde-robe d’automne. Parmi eux se trouvait le vétéran français Nicolas Mahut qui regardait son partenaire de double, Pierre-Hughes Herbert, dans une défaite de cinq manches contre la sixième tête de série Alexander Zverev.

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