Martin Laurendeau coaching a player

Photo : Paul Rivard

L’été s’en est allé. La frénésie du quatrième et dernier tournoi du Grand Chelem aussi.

Les professionnels, après être retombés sur terre, prépareront leur fin de saison avec de nouveaux objectifs, tandis que la majorité des espoirs adolescents, aspirants à une carrière, reprennent le chemin de l’école, tennistique et académique, après avoir tâté différentes expériences estivales grisantes et enrichissantes.

C’est sur cette dernière catégorie que je fixe mon blogue d’aujourd’hui. Mais plus particulièrement du côté d’un des entraîneurs de Tennis Canada. Et pas n’importe lequel, puisqu’il a touché à « tous les côtés de la raquette » depuis 35 ans. Joueur de l’ATP, entraîneur, capitaine de la Coupe Davis… la totale, quoi.

Martin Laurendeau.

Permettez-moi de déroger du style habituel de ce blogue et de rapporter de grands pans d’une conversation récente avec ce personnage calme, posé, éloquent et analytique et que beaucoup surnomment affectueusement « Marty ». Une force tranquille que l’on voit arpenter les courts du Centre national de tennis au fil des jours, pour aider ces jeunes loups fougueux à mesurer leur énergie et à comprendre l’étendue de leurs possibilités, en appliquant des règles aussi simples qu’importantes.

Un pur délice pour tout intervieweur.

Photo : André Chartrand

Les débuts professionnels

Avant toute chose, rappelons que Martin Laurendeau a fait ses débuts professionnels en 1986, alors qu’il étudiait toujours à l’Université Pepperdine, en Californie, pour ensuite joindre le circuit à temps complet l’année suivante.

Dès 1988, il atteignait le meilleur classement de sa carrière, le 90e rang, et ainsi que le quatrième tour des Internationaux des États-Unis, certes un de ses plus beaux souvenirs comme joueur.

Canada's Davis Cup team in 1990
Photo : Tennis Canada

Oui, c’est là où je me suis rendu le plus loin dans un tournoi du Grand Chelem. Il y avait eu un 3e tour à Wimbledon trois ans plus tard en 1991. J’ai eu de belles semaines où j’ai gagné des Challengers.

Il faut dire que c’était une époque particulière, alors que nous, les joueurs canadiens, on était sous le radar. On était pas mal laissé à nous-mêmes. Des défricheurs, disons. On parcourait le monde à faire des tournois. On était quelques Canadiens et on se tenait ensemble. Mais, oui, le US Open, c’était un beau souvenir, car j’avais dû passer par les qualifications. Alors, au 4e tour, j’en étais à ma 3e semaine de tournoi.

Un entraîneur de carrière

Et comme entraîneur, la liste est encore plus impressionnante. D’abord, dans ta carrière d’une quinzaine d’années en tant que capitaine de l’équipe de la Coupe Davis, tu dois chérir cette victoire de 2013 contre l’Espagne ?

Exactement. C’est l’année où on avait fait les demi-finales. En battant l’Espagne, c’était la première fois que le Canada gagnait un tour dans le Groupe mondial. Après l’Espagne, on a enchaîné en battant l’Italie pour se rendre en demi-finale contre la Serbie. C’était un moment clé au niveau de l’équipe de Coupe Davis puisqu’avant ces 15 ans comme capitaine, j’ai été entraîneur pendant 11 ans, sous différents capitaines. Il y avait eu Louis Cayer, aussi Grant Connell, avant moi. On a passé des décennies dans les qualifications, dans les zones inférieures, pour accéder au Groupe mondial, enfin, en 1989. Mais nous avions été éliminés dès le tour initial. Puis, nous sommes revenus au Groupe mondial en 2012 pour ensuite accéder aux demi-finales en 2013. (Note : Pour tout dire, la dernière présence du Canada en demi-finale de cette compétition remontait à… CENT ANS. On parle de deux époques qui ne se comparent pas.)

Depuis ce temps-là, le Canada se maintient dans le Groupe mondial (8 ans), ce qui est très difficile. Présentement, c’est un peu tenu pour acquis, mais il ne faut pas oublier tous les efforts pour y parvenir et y rester.

Martin Laurendeau and Denis Shapovalov after a Davis Cup match
Photo : Tennis Canada

Le chapitre « Shapo »

Allons tout de suite à la période Shapovalov. On peut présumer sans trop se tromper que cette soirée d’août 2017 a été ton plus grand moment à ce niveau ?

Oui, ça a été une belle soirée, celle-là! (Note #2 : Il s’agissait d’une des plus stupéfiantes surprises de toute l’histoire du tennis canadien. Outre celle d’un Daniel Nestor (alors 238e mondial) défaisant le numéro un mondial, le Suédois Stefan Edberg, à la Coupe Davis de 1992. Quant à Shapo, le 5 mars 2017, il était 253e mondial. Avant la Coupe Rogers, 5 mois plus tard, il était grimpé au 143e échelon. Après sa demi-finale à Montréal, il était 67e. À 18 ans.)

Mais je dois ajouter les semaines précédentes. En tant qu’entraîneur, ce ne sont pas toujours les mêmes événements qui nous apportent de la joie. On passe plusieurs semaines avec le joueur et lorsqu’il réalise des performances qui confirment la stratégie visée, sans que ça ne fasse la manchette, c’est très gratifiant pour l’entraîneur. Ça peut être dans un tournoi de type « Futures » ou « Challenger ». Mais la soirée du match contre Nadal, c’était magique, clairement. Ça, je l’avoue.

Vous étiez partis de loin, cette année-là.

Quand j’ai commencé avec Denis, il avait 17 ans. Il ne pouvait rentrer dans les tournois. On a pioché dans les Challengers. Par exemple, dans les semaines précédant la Coupe Rogers, il jouait les Challengers de Gatineau et de Granby. Il avait battu Peter Polansky en finale du premier avant de perdre en demi-finale du second, contre le même Polansky.

Ensuite, tout a vraiment débloqué au cours de cette semaine-là, à Montréal. De battre Nadal, numéro un mondial, sans avoir joué de ATP 500 ou de ATP 250. Tout ça s’est passé quelques mois seulement après qu’on ait commencé ensemble. Il avait réussi à monter son niveau de jeu pour aboutir avec cet exploit. Il a enchaîné avec une 4e ronde au US Open et après ça, Shapo s’est envolé.

Oui, ça a été un beau moment en tant que coach d’avoir réussi à aider quelqu’un qui partait des juniors et qui, à peine HUIT mois plus tard, battait le numéro un mondial, ça a été un moment très fort dans ma carrière de coach, un des plus intenses que j’aie vécu.

Le plus fort ?

Au niveau exploit, certainement, parce que je n’ai dirigé aucun autre athlète qui ont battu des numéros un mondiaux. Mais j’ai vécu de beaux moments tout de même. Comme lorsque Sébastien Lareau avait battu quelques grands joueurs au début de ma carrière de coach. Ici, à Montréal, il avait vaincu le Néerlandais Richard Krajicek, titré à Wimbledon et alors 4e mondial.

J’avais oublié… tu étais avec Sébastien ?

Oui, durant trois années, à ses débuts alors qu’il commençait dans les Challengers. Il est le premier avec qui j’ai travaillé. C’était plus comme entraîneur privé et, un peu comme à mon époque, le joueur partait avec son coach et faisait le circuit international des tournois secondaires pendant plusieurs années.

Outre Sébastien, il y a eu Simon Larose qui a battu Gustavo Kuerten, ici à Montréal. Il y a eu Sébastien Leblanc qui a défait Tim Henman, ici également. On en a eu beaucoup de ces soirées magiques, dans ce stade.

Pourquoi as-tu laissé le clan Shapovalov. Une intervention chirurgicale au dos ?

J’ai eu une hernie discale lors du tournoi du Queen’s club, l’année suivante, en 2018. C’était une semaine avant Wimbledon. Mon dos a complètement coincé et j’étais très mal en point. Je suis resté jusqu’après le 1er tour où Denis s’était incliné face à Jerzy Janowicz puis je suis rentré au Québec et je devais me déplacer en fauteuil roulant, littéralement. Je n’arrivais même pas à marcher pendant trois mois… Repos forcé.

Denis était en pleine saison sur surface dure, la Coupe Rogers, Cincinnati, US Open. Alors lui, sa mère, les conseillers, ont tous convenu qu’ils ne pouvaient attendre ma réhabilitation et que je les rejoigne. Ils ont trouvé quelqu’un d’autre pour continuer.

Pas d’amertume? C’est une question de fatalité ?

C’est certain que j’aurais aimé continuer à travailler son jeu qui, selon moi n’était pas à point. J’avais investi beaucoup alors je suis un peu resté sur ma faim en tant que coach mais Denis avait vraiment beaucoup progressé et mon travail avait quand même porté ses fruits.

Il faut dire que c’était ça, mon boulot. Je suis coach dans la transition du niveau junior au niveau professionnel… transition pour permettre aux joueurs de démarrer au niveau international et de gravir les échelons pour accéder à leurs rêves ultimes, les Grand Chelems. Alors j’avais pas mal accompli cette tâche là et, en plus, ils envisageaient déjà d’acquérir un « Super Coach ». À l’époque où on s’est laissé, il était 23e mondial et c’est souvent là, entre deux personnes où que ça dure ou que ça cesse. Moi, ma mission était sommes toutes accomplie et c’était une question de temps avant qu’il ne se trouve quelqu’un d’autre. Denis sera un des meilleurs au monde, sans coach, de toutes façons. C’est comme ça. Il poursuit son chemin et moi je poursuis le mien.

Shapovalov on the ground at Centre Court Wimbledon with his hands on his face
Photo : Martin Sidorjak/Tennis Canada

Ce qui s’est passé avec Denis, je l’avais vécu avant lorsque venait le temps de superviser la progression de ces jeunes voulant devenir professionnels. Les Nestor, Dancevic, Polansky, Peliwo, Schnur…

Vous vous reparlez? C’est resté cordial ?

Bien sûr, c’est resté cordial mais on ne communique pas souvent pour être franc. Lui, il voyage partout sur la planète et poursuit sa carrière. Il a reformé un nouveau clan. Moi aussi, je continue de mon côté. Et quand un athlète travaille avec un autre entraîneur, il faut respecter cette relation. Ne pas s’imposer et risquer de mélanger l’athlète. Mais je le regarde aller et je suis très content quand il performe bien. Comme tous les autres Canadiens.

Des talents de ce niveau, il n’en passe tout de même pas souvent dans la vie d’un entraîneur. Considères-tu ça comme un cadeau ?

Ça a été une super belle expérience. Et même un privilège. Des Félix, Shapo, Bianca, Leylah, c’est très rare d’avoir un potentiel aussi énorme, aussi jeune. Et d’être en mesure de façonner tout ça et de contribuer à l’émergence de ces athlètes. Je pense à Sylvain Bruneau qui a connu la même chose avec Bianca. Et Guillaume Marx avec Félix. Nous avons été privilégiés d’avoir trois talents semblables entre nos mains.

Beaucoup de pays aimeraient en avoir un seul, comme ça, nous, on en a eu quatre en quelques années.

Photo : Paul Rivard

Le chapitre Borfiga

Repartirais-tu sur la route s’il se pointait un autre jeune talent pour lequel Tennis Canada te demanderait d’assurer la transition ?

Moi, c’est mon monde. Ça fait 35 ans que je fais ça, tant comme joueur que comme entraîneur. Le tennis, c’est international… faut aller ou les tournois sont. Depuis un an et demi, avec la pandémie, c’est sûr que nos programmes ont été chamboulés, le programme de transition a été supprimé et les tournois ont été annulés. L’avenir est incertain et il faut y aller au jour le jour. Mais ça reste notre responsabilité d’assister les athlètes le plus possible, de 14 ans jusque chez les pros. Maintenant, qui fait quoi, ce sera à déterminer.

Photo : Paul Rivard

En terminant, même si l’annonce de son départ a déjà été marquée par un concert d’éloges de la part des journalistes et de tout le milieu du tennis, quels sont tes commentaires sur le passage de 15 années de Louis Borfiga, chez nous ?

Que de bons souvenirs. On a réussi à s’installer dans l’élite mondiale. Le concept de Centre d’Entraînement est une réalisation dont on parlait avant son arrivée, mais pour lequel les budgets n’étaient pas là. Sa venue a fait en sorte que le tout soit mis en place et son expérience a permis d’ériger ce système et a déteint sur tous les entraîneurs. Nous vivons notre âge d’or sur la scène internationale, tant au niveau de la WTA que de l’ATP, tant au niveau de la Fed Cup (maintenant appelée Coupe BJK) que de la Coupe Davis. Sans oublier que chez les juniors, nous avons gagné des tournois du Grand Chelem. Deux filles ont atteint le 5e échelon mondial de la WTA. Deux gars sont actuellement 11e et 12e à l’ATP. Louis était quelqu’un de très discret, réservé, mais qui avait une très grande influence et il nous a aidé à concrétiser une culture de champions.

Ça a été vraiment un plaisir de travailler avec lui et je ne le considérais pas comme un patron, mais comme un collègue, compte tenu aussi que c’est un ancien joueur, un ancien entraîneur. Il m’a permis d’évoluer dans mon métier.

Courriel : privard@tenniscanada.com

Twitter : @paul6rivard

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