Le week-end du 29 octobre 2022 passera à l’histoire du tennis canadien.

Pas seulement parce que deux des plus beaux espoirs à avoir représenté notre pays ont enfilé leurs costumes de finalistes en cette fin de semaine de l’Halloween, mais bien parce qu’ils ont connu des séquences magistrales au cours de tout le mois d’octobre.

Denis Shapovalov a joué du tennis à la hauteur de son immense potentiel et il a évité les écueils qui l’ont souvent empêché de naviguer allègrement dans le Top 10 de l’ATP. Et Félix Auger-Aliassime, de son côté, a réalisé ce qui ne s’était jamais fait depuis que l’unifolié flotte parmi les autres drapeaux au tennis professionnel.

Si Denis a disputé deux finales en cinq semaines, que dire des trois finales en trois semaines pour son ami Félix ? Encore mieux : trois TITRES en trois semaines pour FAA, avec une séquence unique de 13 victoires. J’y reviendrai (abondamment) plus loin dans ce blogue.

Et, signe du caractère extraordinaire de ce week-end, Auger-Aliassime et Shapovalov ont réalisé ensemble une grande première canadienne quand ils ont fait les frais de finales, simultanément. Et en tournois ATP 500 qui plus est. Et ils nous ont fait cadeau d’un formidable dimanche de tennis à la télé.

Ce moment d’émulation tennistique national pouvait nous rappeler les deux dernières fois ou deux de nos compatriotes avaient brillé en même temps.

Je pense ici à 2013 quand la demi-finale d’un tournoi Masters 1000 avait été disputée par Vasek Pospisil et Milos Raonic. Et dans leur pays, de surcroit (Montréal). Ce moment reste un des plus formidables de l’histoire de l’Omnium Banque Nationale depuis sa création. Un an après, en 2014, nos deux lascars ont fait les frais d’une finale, cette fois, lors du tournoi de Washington, une épreuve du Circuit 500 de l’ATP.

Photo : Yahoo Sports

Vous comprendrez donc que je consacrerai l’entièreté de ce blogue hebdomadaire à nos deux fleurons du tennis canadien masculin. Ce qui s’est produit est inédit. Assez pour en faire NOTRE légende d’automne !

L’incroyable odyssée de Félix

Photo : Reuters

Un, c’est bien. Deux, c’est mieux. Trois, c’est… comment dire… l’exploit.

Félix a gagné ses 13 derniers matchs et a conquis trois titres consécutifs à Florence, Anvers et Bâle. Dans un intervalle de 18 jours seulement (13-30 octobre). « C’est du délire ! », diraient nos collègues à Paris.

Cette séquence de 13 gains est inédite dans l’histoire du tennis masculin professionnel, par un Canadien.

Image : TennisTV

Lors de ce tournoi en Suisse, Félix a pris la deuxième place du palmarès canadien devant Bianca Andreescu et Eugenie Bouchard, qui avaient collé 10 victoires en 2019 et 2014, respectivement.

Le record, femmes et hommes confondus, appartient toujours à Bianca Andreescu avec une autre séquence encore plus phénoménale, également en 2019, quand elle avait remporté 17 matchs de suite et récolté au passage les titres à Toronto et à Flushing Meadows.  

Photo : CP

Voici les sept meilleures performances canadiennes en termes de séquences victorieuses :

B. Andreescu           17       2019

F. Auger-Aliassime 13       2022

B. Andreescu           10       2019

E. Bouchard             10       2014

M. Raonic                 9          2016              

F. Auger-Aliassime 8          2022

M. Raonic                 8          2011 / 2012 / 2013

Malgré l’admiration que suscitent ces séquences, précisons qu’on est loin des records des deux circuits.

Martina Navratilova (74 / 1984-1985) et Steffi Graf (66 / 1989-1990) détiennent les plus impressionnantes chez les dames tandis que Guillermo Vilas (46 / 1977) et Ivan Lendl (44 / 1981-82) sont les meneurs au tennis masculin.

Cela étant dit, ne boudons pas notre plaisir.

LA photo

Photo : AFP

Il y a tellement à dire de cette photo prise par Gabriel Monnet de l’Agence France Presse.

Sa composition, sa signification : deux personnes, deux résultats, deux attitudes.

Et un exploit.

D’abord, une telle explosion de joie est relativement rare chez Auger-Aliassime qui, habituellement, se contente de serrer le poing, regarder son clan avec détermination pour leur transmettre sa satisfaction du devoir accompli et, finalement, un sourire sympathique dédié aux spectateurs qu’il salue avec respect et reconnaissance.

Mais là, après s’être écroulé au sol, comme s’il avait gagné un grand match en tournoi majeur, il a éclaté d’un immense cri.

Soulagement, bonheur, relâchement de cette tension grandissante au fur et à mesure que s’étalait cette étonnante série de succès. Tout ça à la fois.

Et que dire de la présence floue, en arrière-plan, de cet autre jeune loup de l’ATP, Holger Rune, qui commence à faire beaucoup de ravage, mais qui n’a pas pu ébranler la confiance solide et tranquille d’un aîné de 22 ans qui cimente de plus en plus son empreinte sur le chemin menant vers les plus hauts sommets.

Oui, quand on dit qu’une « image vaut mille mots ».

Exploits sous le toit

Image : TennisTV

Les trois derniers tournois de Félix, gratifié de trois titres, l’ont été dans des stades intérieurs, en Italie, en Belgique et en Suisse. À ces succès, on peut ajouter sa prestation magique dans le cadre de la Coupe Laver, dans l’Arena O2 de Londres, ou il a battu l’ex-numéro un mondial et détenteur de 22 titres de tournois du Grand Chelem, Novak Djokovic. Ainsi que son épique victoire aux dépens de l’actuel numéro un mondial Carlos Alcaraz lors du tournoi à la ronde des Finales de la Coupe Davis, à Valence.

Image : TennisTV

Puis, lors de la demi-finale de Bâle, il a remis ça contre le prodige espagnol qu’il a battu sèchement 6-3 et 6-2, ne lui accordant que des miettes sur son service, dont la seule balle de bris en quatre matchs.

Après ce match, le Suisse Marco Chiudinelli, un ancien joueur devenu commentateur, a souligné ce fait à Auger-Aliassime. « Qu’est-ce qui rend ton jeu meilleur chaque fois qu’il y a un toit au-dessus de ta tête ? »,lui a alors demandé l’intervieweur.

« Je pense que c’est bien d’avoir grandi à Montréal, au Canada, vous savez… », de rétorquer Félix en riant. Et vous aussi vivez une situation semblable, ici »,a-t-il ajouté devant la réaction de la foule suisse dans les gradins.

Image : TennisTV

« Mais le fait de passer la moitié de l’année sur des courts intérieurs, quand j’ai grandi, me rapporte des dividendes maintenant. Alors je suis très heureux de la façon dont je joue et je suppose que ces courts intérieurs me portent chance. »

Au-delà de ces mots bien placés, les chiffres montrent à quel point il a été dominant dans ces trois tournois.

Il a présenté une moyenne étonnante (et basse) de fautes directes. Seulement 10,5 par match. Tout est là.

Là et au niveau du service. Attachez votre ceinture, c’est parti.

En 141 jeux au service, il n’a donné à ses 13 rivaux qu’un total de 20 balles de bris. Il n’a perdu son service que cinq fois. Jamais, à Bâle, ses adversaires ne l’ont brisé en 12 tentatives. Avec 145 as en 13 matchs, sa moyenne se chiffre à 11,2. Il n’a commis que 18 doubles fautes (1,3 par match en moyenne).

En trois semaines, un pourcentage moyen de 67,3 % sur sa première balle et de 83,5 lorsqu’il réussit ce premier service.

Confiant, vous dites ?

Le champion est (encore) né un 8 août

Image : TennisTV

Puisqu’il est question de Roger Federer, vous savez maintenant qu’il partage la même date de naissance que Félix Auger-Aliassime. Ou vice-versa.

Le fait avait été souligné avant le tournoi de Bâle. Et la prédiction espérée par plusieurs s’est avérée lorsque FAA a mis la main sur le titre suisse. Ainsi, il se joignait à son idole au tableau d’honneur… celui qui a participé à 15 finales et remporté un total époustouflant de 10 trophées dans sa ville natale entre 2000 et 2019.

Source : Wikipedia

Celui qu’il avait battu – presque à contrecœur – le 16 juin 2021, sur le gazon allemand de Halle, 4-6, 6-3, 6-2. Un match qui annonçait le lent glissement vers la retraite d’un joueur qui allait encore devoir passer sous le bistouri pour un genou affaibli par le temps et les innombrables matchs.

Ah oui, ils ont été nombreux à souligner que le nouveau champion était né la même date que le Maître… mais que les drapeaux canadien et suisse étaient de couleurs rouge et blanc.

La boucle est bouclée.

Médailles aux chasseurs de Bâle

Image : TennisTV

Comment ne pas avoir été ému et charmé par cette initiative des organisateurs du tournoi suisse alors que chaque chasseur de balles a reçu une médaille pour son travail au cours du tournoi ?

Et les yeux de ces jeunes en regardant leur idole.

Chaque discours de chaque champion(ne) de chaque tournoi comporte quelques mots de remerciements pour ces jeunes qui se donnent entièrement pour cueillir les balles sans déranger ni retarder le déroulement du jeu. Mais de les voir ainsi recevoir une médaille remise par l’un des deux finalistes est, selon moi, la plus belle attention de la part d’un comité d’organisation.

Image : TennisTV

Bravo.

Quand on sait que l’un d’eux, il y a 30 ans, était l’un des enfants de cette ville et qu’il se nomme Roger Federer, comment ne pas imaginer que certaines carrières trouvent leur semence dans les expériences vécues par ces jeunes ?

Pendant ce temps, Shapo…

Photo : GEPA Pictures

Pendant que son compatriote québécois attirait l’attention de la planète tennis, Denis Shapovalov connaissait lui aussi une séquence automnale des plus intéressantes.

Cette deuxième finale en cinq semaines lui a permis de présenter un dossier de 11-4 entre les 28 septembre et 30 octobre. Tellement à l’opposé de cette horrible séquence de 1-9, entre les débuts de mai et août.

Au fil des dernières semaines, en observant le Torontois, il est clair qu’il a décidé d’embrasser un élément tactique inhabituel. Et payant.

La patience.

Car mis à part son excellent service, son jeu de filet exceptionnel, quelques retours de services phénoménaux et l’utilisation fréquente et efficace de l’amorti, il manquait cette volonté de soutenir des échanges interminables avec quelques spécialistes dans le genre.

Incluant le dénommé Medvedev, soit dit en passant.

Et dès le début de la finale l’opposant au Russe, Shapo est sorti gagnant d’un échange de près de 30 coups grâce à un coup gagnant du coup droit, long de ligne. Il devait par la suite briser Medvedev au jeu suivant pour se lancer en avant 2-1, infligeant alors au Moscovite son tout premier bris de service depuis le début du tournoi.

Contre toute attente, persistant dans cette stratégie, Shapovalov devait briser son rival à nouveau pour porter son avance à 4-1. La suite n’a pas été simple, on le sait maintenant, car Medvedev n’est pas un client facile. Shapo a lutté vaillamment, mais, ultimement, à 2-1 dans la troisième manche, le grand Russe a montré pourquoi il a déjà atteint le premier rang mondial et pourquoi il est fort probable qu’il y retourne éventuellement. Il atteignait tout, ne ratait rien et réussissait de véritables tours de magie, jeu après jeu, pour se sauver avec le titre, 4-6, 6-3, 6-2 après un spectacle relevé de 2 h 15.

Autre point positif, cette présence rassurante de son entraîneur, Peter Polansky.

Image : TennisTV

Depuis le début de cette association inattendue, plusieurs avaient haussé le sourcil en se demandant ce que l’Ontarien pourrait apporter de plus à son compatriote que les Mikhail Youzhny ou Jamie Delgado, avant lui, n’avaient pu trouver.

Force est d’admettre que le lien entre coéquipiers, créé lors des événements de Coupe Davis, était suffisamment fort pour que Polansky apporte cette complicité et cette complémentarité utile à son compatriote.

En conclusion, Denis aura sauvé son année 2022 au cours de cet automne. Et il lui reste encore l’actuel tournoi de Paris et les finales de la Coupe Davis, à Malaga dans la quatrième semaine de novembre, pour conclure l’année avec satisfaction et célébrer comme il se doit pendant le congé des Fêtes.

Photo : ATP / Twitter

Courriel : privard@tenniscanada.com 

Twitter : @paul6rivard 

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