Close-up on Felix Face

Photo : Martin Sidorjak/Tennis Canada

Le 8 avril dernier, la planète tennis accueillait avec surprise et intérêt ce partenariat inattendu entre Félix Auger-Aliassime et le célèbre Toni Nadal, oncle et entraîneur du non moins célèbre « vous-savez-qui ». 

Déjà excellent sur terre battue, le jeune Québécois ne pouvait que profiter d’une telle association et allait être propulsé vers les sommets, pensait-on. Mais c’était aller un peu vite en affaires. 

Cinq tournois et dix matchs plus tard, le constat semble décevant. Le dossier de quatre victoires et six défaites de Félix n’est clairement pas à la hauteur des attentes immédiates. Cinq des six défaites ont été subies aux mains de joueurs moins bien classés. Dans trois des cinq tournois, il a été sèchement éconduit dès son premier match. 

Au cours de ces deux mois, ce n’est pas le même Félix qui semblait évoluer sur le terrain. Moins de montées au filet, moins hasardeux, moins téméraire, plus brouillon. Que s’est-il passé ? 

Felix Auger-Aliassime stretches to reach a ball on his forehand at Roland Garros
Photo : Martin Sidorjak/Tennis Canada

J’ai pensé me tourner vers un sage, le même qui avait commenté le prometteur jumelage Toni-Félix dans ce blogue.  

Vous devinez que Louis Borfiga, calme et expérimenté, n’allait pas arriver aux mêmes conclusions que les admirateurs du jeune athlète de 20 ans (oui, n’oublions surtout pas qu’il n’a que 20 ans…) 

« Restons calmes, il ne faut pas paniquer avec cette séquence ! », de recommander l’ancien responsable du développement de l’élite de Tennis Canada, à quelques semaines de son départ vers la France pour une retraite bien méritée. « Je ne suis pas aveugle et c’est clair que la saison de terre battue n’a pas été celle qu’on espérait pour Félix. Et il est clair, aussi, qu’il ne joue plus avec la même confiance que celui qui a gravi si rapidement les échelons, il y a deux ans. » 

Le mot-clé était lâché : Confiance. 

Car, ce qui sépare les 20 ou 30 premiers dans le classement du reste du Top 1000, ce n’est pas le talent brut… c’est plutôt cet élément intangible, mais vital qu’est la confiance. Et toute nouvelle association joueur-entraîneur ne rapporte pas des dividendes instantanément. 

« Laissons-lui encore du temps. Qui sait les recommandations et/ou les changements que Toni Nadal tente d’apporter au jeu de Félix. Pendant que l’athlète tente d’appliquer des améliorations, il se peut qu’il égare cet instinct et cette créativité qui le caractérisaient. On savait que Félix devait améliorer sa ténacité dans les longs échanges. On a remarqué au cours des dernières semaines qu’il montait peut-être moins souvent au filet. Il se cherche et il hésite. Soyons patients et laissons le temps à la chimie d’opérer. Selon moi, il est vraiment trop tôt pour s’inquiéter. Espérons qu’il retrouve sa confiance dès la saison sur gazon et, en même temps, le plaisir de jouer et le reste suivra. » 

Louis Borfiga

C’est d’ailleurs sur l’herbe allemande, à Stuttgart, dès cette semaine, que Félix tente de se relancer. En compagnie, notamment, de son compatriote et ami, Denis Shapovalov qui avait fait l’impasse sur RG. 

Quant à l’un des deux principaux intéressés, Toni Nadal lui-même, il prône la patience lui aussi.  

Selon l’Espagnol ce n’est même pas une question de quelques mois, mais d’années. Dans une entrevue en français diffusée pour RDS avant le début du tournoi majeur à Paris, et que vous pouvez consulter ici, le vétéran entraîneur dit admirer les qualités athlétiques d’Auger-Aliassime, parmi les plus impressionnantes du circuit selon lui. Et, il ajoute que l’atteinte des résultats pourrait prendre plus d’un an. 

« À mon avis, Félix a deux ans pour rejoindre les meilleurs. Il y a environ huit, neuf ou dix joueurs qui sont au-dessus du reste. Ce n’est pas facile de battre un Medvedev (…) un Thiem, un Djokovic. Ce n’est pas une chose facile d’améliorer tout son jeu, mais il a le temps pour apprendre. Chaque jour, c’est une chance d’ajouter quelque chose de positif à son jeu, que ce soit en retour ou à la volée par exemple. ».  

Toni Nadal

Plus de blessures en 2021 ? 

Roger Federer, Ashleigh Barty (2 fois), Jennifer Brady (2 fois) Petra Kvitova, Grigor Dimitrov, Simona Halep, Denis Shapovalov, Venus Williams, Bianca Andreescu, Hubert Hurkacz, Casper Ruud, Elise Mertens, Victoria Azarenka, Garbine Muguruza, Kei Nishikori, Aslan Karatsev… 

J’arrête ici. Ce sont des athlètes qui ont dû abandonner ou se retirer de tournois de tennis en raison de blessures. Ça fait peur.  

Ah oui, en passant… je ne suis remonté que cinq semaines en arrière (fin avril) et je n’ai conservé que les noms les plus connus ou membres du Top 30. Vous devriez voir le nombre de pages que constitue la liste de tous les blessés depuis le début de l’année 2021. Ça fait encore plus peur. 

Est-ce un record ou simplement une autre année de type « business as usual » ? me demande un lecteur de Mont-Tremblant, Gilles Ayotte. 

Bonne question ! 

Coup de fil à un spécialiste de Tennis Canada, l’entraîneur national en préparation physique Nicolas Perrotte, que vous avez sûrement aperçu dans les gradins quand il a accompagné les Bianca Andreescu, Denis Shapovalov, Félix Auger-Aliassime et autres jeunes vedettes canadiennes dans des tournois WTA, ATP, Coupe BJK ou Coupe Davis. 

Avant de s’exprimer sur les dommages collatéraux que la pandémie de COVID-19 avait inévitablement créés, le Français de 49 ans a tenu d’entrée à confirmer que nous avions probablement un biais ou une mémoire sélective en croyant que 2021 est une année particulièrement intense en ce qui concerne les blessures. Cela dit, il est clair que les 15 derniers mois ont bouleversé cette colonne de statistiques.

Photo : Corinne Dubreuil/ATP Tour

Par ailleurs, malgré l’invasion de nouveaux talents dans les sommets du classement, les carrières des athlètes ont tendance à se prolonger, dit le spécialiste. En s’entourant d’une équipe où plusieurs personnes couvrent tous les aspects imaginables de la gestion de ces « machines humaines », les joueuses et les joueurs investissent donc dans leur « capital tennis » à long terme. 

« Pour témoigner de cette tendance, l’âge moyen des joueurs et joueuses de tennis augmente depuis une décennie », mentionne Perrotte qui, preuve à l’appui, nous suggère de jeter un coup d’œil à une étude datant de 2011. Puis, il enchaîne avec d’intéressantes données. 

« En 2021, pour les femmes, il y a 24 trentenaires dans le Top 100 de la WTA et plusieurs joueuses participent à Roland Garros en étant mères de famille. Il y a 16 joueuses de 22 ans et moins dans le Top 100, dont Bianca et Leylah. Chez les hommes, les 30 ans et plus représentent environ 40 % du Top 100 de l’ATP (3 Top 10) et il y a 15 joueurs de 22 ans et moins, dont Shapo et Félix. 

Donc, il faut prendre en compte cette évolution chez les joueurs qui font le choix de préserver leur capital tennis, faire durer leur carrière plus longtemps en maintenant leur niveau de performance avec une bonne gestion de leurs blessures par un suivi professionnel pluridisciplinaire. » 

Nicolas Perrotte

Il ne fait aucun doute que la pandémie et les quarantaines obligatoires qui en ont découlées ont amené une nouvelle donne dans l’équation et peuvent expliquer une forme de dérèglement de ces êtres surdoués et complexes.  

« D’une part, le confinement et l’arrêt du circuit pendant quatre mois l’an dernier ont coupé certains joueurs dans leur progression, mais ont aussi représenté une occasion de se développer physiquement et techniquement. Donc du négatif et du positif », conclut d’abord Nicolas Perrotte. Puis il enchaîne avec quelques observations sur les variables déclenchées par cette situation unique dans l’histoire du tennis. 

« Rien ne remplace l’intensité de la compétition et le besoin de toujours s’adapter à de nouvelles conditions de jeu. Le paramètre le plus complexe est l’impact mental que la période représente. Beaucoup de repères ont été modifiés, il a fallu se fixer de nouveaux objectifs. Chaque joueur réagit plus ou moins favorablement aux règles imposées en tournoi, à l’absence de public, à la distance avec leur entourage familial. On peut légitimement établir un lien entre cette nouvelle charge mentale, le maintien de la motivation et l’apparition de blessures liées au stress. Je suis curieux de connaitre les études sur cette période avec des données objectives. » 

Morale de cette histoire, l’équipement a évolué, tout comme la technique du jeu et de l’entraînement ainsi que la condition physique des acteurs. Mais la seule chose qui reste identique aux athlètes d’il y a 30 ou 50 ans, c’est qu’un corps brisé doit être réparé… technologie ou pas.  

Et que des blessés, au tennis, il y en a eu. Et il y en aura. Toujours. 

À la croisée des chemins

Il y a des réveils moins amusants que d’autres. Et qui nécessitent plus de café…

Comme ce matin du 8 juin, en voyant apparaître le message Instagram de Bianca Andreescu, vers 6h00, annonçant la fin de sa relation professionnelle de trois ans avec l’entraîneur Sylvain Bruneau.

Comme l’a fort justement noté le journaliste de Radio-Canada Sports, Antoine Deshaies, qui a couvert l’irrésistible conquête du US Open en 2019, ces relations entraîneur-joueuse sont souvent éphémères.

Finaliste à titre d’entraîneur de l’année sur le circuit de la WTA, en 2019, Bruneau avait accepté nomination avec son humilité proverbiale et ajouté avec un clin d’œil que tous les finalistes de la saison précédente (2018) n’étaient plus aux côtés des joueuses avec lesquelles ils travaillaient…

Bianca working hard on the practice court
Photo: Sarah-Jäde Champagne

Il avait tellement raison. Il faut compter (presque) sur les doigts d’une main les duos qui durent plus de 10 ans dans le tennis professionnel, WTA ou ATP. C’est dans l’essence du sport. Et dans la grande majorité des cas, il n’est même pas question du moindre accroc ou conflit ou accroc.

C’est pour ça qu’existe l’expression « arriver à la croisée des chemins ».

Pendant que Bianca volera vers de nouvelles conquêtes, Sylvain se concentrera sur son rôle de chef du tennis féminin professionnel et de transition à Tennis Canada.

Santé. Sécurité. Sagesse 

Ce sont les 3S (une invention de ma part…)  

Ils décrivent comment les athlètes du tennis professionnel et leur entourage immédiat doivent aborder malaises et blessures.  

C’est assurément ce qui a guidé Roger Federer dans sa décision de se retirer de Roland-Garros après une troisième victoire.

Federer waves at the crowd after a win
Photo : Roland Garros

Malgré son énorme capital d’affection au sein du public, ils sont nombreux parmi les amateurs de tennis et les membres des médias à avoir critiqué le « Maître » pour cette décision qui crée quelques circonstances fort discutables. 

  • Comme l’injustice envers l’adversaire battu par Federer (pourrait-il prendre sa place au tour suivant ?).  
  • Comme le « repos » prolongé dont profitera celui qu’il devait affronter, en l’occurrence Matteo Berettini… sans oublier l’adversaire éventuel de l’Italien qui aura eu à se taper deux, trois ou quatre heures de plus pour arriver au même point. 
  • Comme le tort évident causé au tournoi qui perd une de ses principales têtes d’affiche. 
  • Comme le doute s’insinuant chez les amants du tennis qui se demandent si tel ou tel athlète est vraiment blessé ou s’il fabrique son histoire pour se ménager des sorties faciles. 

Etc. 

Roger étant Roger, la majorité des internautes lui ont accordé leur soutien, et il pouvait compter sur plusieurs appuis de taille, comme l’ATP et les autres tournois du GC, sans oublier un grand joueur sachant ce que c’est de jouer avec un corps « endommagé »… 

Voilà autant de débats pour lesquels vous avez peut-être une solide opinion. Si oui, je vous invite à m’en faire part à l’une des adresses au bas de ce blogue. 

Le tennis doit-il changer sa façon de faire ou privilégiez-vous le statu quo ? 

Repentigny et la suite 

Lundi soir, à Roland-Garros (7 juin), le dernier match de la journée sur le court central opposait l’Ukrainienne Marta Kostyuk, 81e mondiale, à la Polonaise Iga Swiatek (9e), championne en titre de cette compétition.  

Toujours à Paris, mardi, l’Espagnol Alejandro Davidovich Fokina participait aux quarts de finale d’un tournoi majeur pour la première fois de sa carrière. 

Iga Swiatek kisses the Roland Garros women's trophy of 2020
Photo : Martin Sidorjak/Tennis Canada

En ce début de la deuxième semaine, la présence de ces jeunes rappelle de beaux souvenirs aux amateurs de tennis de la ville de Repentigny, située dans la banlieue est de Montréal. 

Swiatek, 20 ans, et Kostyuk, bientôt 19 ans, ont remporté les finales féminines de 2016 et 2017 des Internationaux de tennis junior de Repentigny, devenu en trois décennies la référence des tournois juniors mondiaux, hors Grand Chelem. Et, la même année que Swiatek, le champion masculin se nommait justement Davidovich Fokina.  

Les gens de Repentigny, et de Montréal forcément, ont donc eu la chance de voir évoluer ces athlètes de très près avant qu’ils accèdent à l’élite mondiale et qu’ils deviennent, disons… moins faciles à approcher. Car la beauté de ces tournois juniors, ITF et même Challengers, c’est le bonheur de pouvoir assister de très près à l’étalage de leurs formidables talents, à un prix dérisoire.  

Entre 1986 et 2019, c’est avec cette proximité que le public québécois a pu voir passer plusieurs de nos compatriotes ou de futures vedettes internationales sur les terrains du parc Larochelle. On pense aux Bianca Andreescu, Françoise Abanda, Eugenie Bouchard et Rebecca Marino, respectivement titrées en 2015, 2012, 2011 et 2007, ou encore aux Brayden Schnur et Nick Kyrgios, champions en 2013 et 2012, ainsi qu’aux Andy Murray et Jo-Wilfried Tsonga, en 2003 et 2002. 

Sans oublier les Auger-Aliassime, Shapovalov, Raonic, Pospisil, et Fernandez qui y ont participé à un moment de leur adolescence et, bien sûr, des noms impressionnants qui, sans repartir avec le titre, n’ont pas trop mal paru après leur passage à Repentigny. Je pense aux Barty, Pliskova, Halep, Svitolina, Garcia, Azarenka, Tsitsipas, Zverev et Thiem. 

Simona Halep holds the Wimbleon women's trophy and smiles at the camera
Photo : Martin Sidorjak/Tennis Canada

Au moment de rédiger ce segment, la direction de Tennis Canada évaluait avec la Fédération internationale de tennis (FIT), les possibilités de tenir le tournoi de nouveau en septembre 2021, peu importe les niveaux de sécurité applicables, avec l’annulation de la quarantaine normalement imposés aux étrangers entrant au pays. 

Croisons nos doigts. 

Courriel : privard@tenniscanada.com 

Twitter : @paul6rivard 

Pour suivre tous nos Canadiens à la trace, c’est ici

Tags