Alors qu’il faisait son jogging le long de la digue du parc Stanley de Vancouver, Grant Connell s’est senti désorienté, d’abord incapable de tenir son cellulaire avant de tomber à la renverse sur le sol. Lorsqu’il a réussi à se relever et à s’asseoir sur un banc, sa première réflexion a été : « J’espère que c’est une crise cardiaque. »

Connell, qui était âgé de 54 ans à l’époque, ne prenait pas toujours ses médicaments contre l’hypertension et savait qu’un autodiagnostic pire qu’un arrêt cardiaque serait qu’il s’agissait d’un accident vasculaire cérébral.

C’était le 19 février 2020, et il était en effet victime d’un AVC. Au début, il a hésité à demander de l’aide, car il craignait que les gens le croient ivre.  

Quelqu’un lui a heureusement proposé son aide et Connell lui a immédiatement demandé de composer le 911. Après avoir perdu connaissance quelques fois, il se souvient d’avoir entendu la sirène d’une ambulance et d’avoir pensé qu’il avait là une chance de s’en sortir.  

Joueur de tennis de classe mondial qui s’est hissé au 67e rang du simple, qui a battu des champions comme Ivan Lendl, Jim Courier et Andres Gomez, et qui a occupé le sommet du classement du double pendant 17 semaines en plus de participer à trois finales de double à Wimbledon, Connell était confronté à un défi comme il n’en avait jamais rencontré en 12 ans sur le circuit professionnel.

« Lorsqu’ils m’ont mis dans l’ambulance, j’ai entendu qu’ils cherchaient une veine, et quelqu’un m’a secoué et m’a demandé qui était mon plus proche parent. Ensuite, je me suis évanoui et je pense que j’ai été inconscient pendant environ 12 heures. »

Lorsque sa femme Sarah est arrivée à l’hôpital, l’infirmière en chef de l’unité des soins intensifs lui a dit : « Écoutez, madame Connell, si votre mari se réveille, il ne remarchera jamais. »

Sa tension artérielle était supérieure à 200, et au départ, les médicaments n’ont pas réussi à la contrôler. « Au milieu de la nuit, j’ai entendu une infirmière dire, alors qu’elle consultait mon dossier : “Je n’ai jamais vu autant de médicaments pour la tension artérielle dans un être humain” », se souvient-il.

Sa tension artérielle a fini par baisser, il a repris connaissance et était déterminé à prouver que l’infirmière en chef avait tort. « Je n’ai jamais pensé que je ne serais plus capable de marcher. Réapprendre à le faire a été très difficile, mais je n’ai jamais cru que je n’y parviendrais pas. »

Aujourd’hui, deux ans plus tard, il boite et il a toujours un usage très limité de son bras et de sa main gauches (il est gaucher).

Mais au-delà de tous les maux physiques, la première réaction de Connell lorsqu’il s’est réveillé à l’hôpital général de Vancouver a été de constater que ses facultés mentales et émotionnelles étaient intactes.  

« J’étais heureux de pouvoir comprendre les gens et de faire comprendre. J’étais heureux parce que mon cerveau fonctionnait encore bien, que ma mémoire était bonne, et tout ça. J’avais fait des recherches sur les AVC (il y a des antécédents familiaux) et je savais qu’on pouvait devenir aveugle — mon œil gauche a été touché (24 pour cent de vision), je ne peux donc pas conduire. Mais si le sang se trouve sur le dessus du cerveau — contrairement à mon cas où c’était une hémorragie intracrânienne —, c’est là que ça détruit tes connexions et que tu es cuit. »

Connell était loin d’être cuit et, après un mois d’hospitalisation, il a été transféré dans un centre de réadaptation où il a passé les trois mois suivants, soit jusqu’à la fin de mai.

Son rétablissement a été long et laborieux, mais aujourd’hui, il fait des promenades de cinq à dix kilomètres et a repris son travail dans son entreprise immobilière de Vancouver six après son AVC.

« De toute façon, les agents immobiliers sont des entrepreneurs indépendants », mentionnait Connell à propos de son travail. « Je suis dans ce métier depuis 20 ans et je viens d’avoir deux bonnes années. »

Avec son humour pince-sans-rire, Connell a ajouté : « J’appelle ça un handi-vantage. L’avantage d’être handicapé. Il se peut que je fasse un peu plus d’affaires que je ne le ferais normalement. Cela me permet de sortir. Je me sers beaucoup d’Uber, et je n’hésite pas à prendre l’autobus. »

Après avoir accroché sa raquette en 1997, Connell a été le directeur général de Tennis British Columbia de 1998 à 2003, capitaine de l’équipe canadienne de la Coupe Davis de 2001 à 2004 ainsi que directeur des Internationaux du Canada (Coupe Rogers) de Toronto en 2006, tout en commençant une nouvelle carrière en dehors du sport. « Je ne pourrai jamais me plaindre d’avoir été négligé quand on parle des joueurs de tennis canadiens, car je me suis vraiment sorti de l’équation. J’ai délibérément essayé de me trouver en dehors du tennis — avec une famille, puis une carrière. Je n’ai jamais été quelqu’un qui aime regarder en arrière. Je préfère regarder en avant. »

Il reste en contact étroit avec ses contemporains du tennis et beaucoup se sont mobilisés lorsqu’il a eu son AVC. « Il y a un whatsapp appelé “Grant’s tennis friends” créé par Patrick Galbraith (un ancien partenaire de double). Nous sommes une trentaine de joueurs de mon époque, des gars comme Glenn Michibata, Todd Martin, (Jonathan) Stark, (Byron) Black et (Patrick) Rafter, et nous communiquons encore nous régulièrement.

« Lorsque j’étais hospitalisé, j’étais sur cette application tous les jours pour discuter avec mes amis. C’était formidable. »

Plusieurs partisans de Connell se souviennent de sa défaite de 4-6, 6-1, 6-7(6), 7-5 et 6-3 aux mains d’Andre Agassi au premier tour de Wimbledon en 1991. Alors qu’il faisait face à une balle de bris, Agassi a vu une de ses balles toucher le haut du filet et retomber juste de l’autre côté. Un bris aurait permis à Connell de servir pour le match au jeu suivant. Agassi a ensuite atteint les quarts de finale. Mais si Connell avait gagné ce duel, on peut douter que l’Américain, qui n’était pas des plus à l’aise sur le gazon de Wimbledon, ait eu la confiance nécessaire pour remporter le titre l’année suivante.

« Il (Agassi) a écrit à ce sujet dans son livre (“OPEN”) et j’ai ri parce que j’ai reçu plus d’attention à cause de ces deux lignes dans le livre que dans toute ma carrière. J’étais à Hawaï avec des amis lorsque le livre est sorti. Tout le monde le lisait et j’ai dit en plaisantant : “Je pourrais prendre un crayon, ouvrir le livre à cette page, la signer et refermer le livre.” »

Cela lui a rappelé une autre anecdote avec Agassi — quand il a perdu 6-4, 6-2 et 6-2 aux dépens du flamboyant Américain au premier tour des Internationaux des États-Unis de 1990. « (Le regretté) Vitas Gerulaitis a dit, quand j’ai affronté Agassi à New York, “C’est comme regarder le lièvre et la tortue, et la tortue ne gagne pas.” »

À bien des égards, Connell est un gagnant — notamment avec sa famille. Sa fille Madison, 23 ans, a obtenu un diplôme de Stanford et travaille maintenant à San Francisco, sa fille Charlotte, 19 ans, étudie à l’Université McGill, à Montréal, tandis que son fils Cooper, 20 ans, étudie le commerce à l’Université Bentley, près de Boston, grâce à une bourse d’études au hockey. Ses deux plus jeunes, Bella et Katie, des jumelles identiques de 15 ans, sont en 10e année à West Vancouver.

En 2019, Connell, sa femme et leurs cinq enfants sont allés à Wimbledon (la dernière édition avant la pandémie) et, selon ses dires, ils ont eu énormément de plaisir.  

Il n’a pu s’empêcher de plaisanter : « C’était drôle de voir mes enfants mineurs boire du Pimms (la liqueur à base de gin associée à Wimbledon) avec leurs amis. »

Son fils Cooper aura 21 ans en juillet et Connell prévoit de l’accompagner aux Internationaux des États-Unis pour célébrer cela.

Connell and wife Sarah

Pour en revenir à sa condition physique actuelle, Connell a mentionné : « Je suis assez limité. Je peux tondre la pelouse en faisant très attention, mais je n’ai pas assez d’équilibre pour jouer au tennis ou faire d’autres activités de ce genre. Je n’abandonne pas l’idée, cela ne fait que deux ans. On nous dit de fournir beaucoup d’effort pendant deux ans, puis de faire ce qu’on aime. J’ai le meilleur physiothérapeute, j’y vais trois fois par semaine et je constate une amélioration progressive de ma main et de mon bras. J’ai donc des raisons de croire que je peux m’améliorer de 10, 15 ou 20 pour cent. »

Connell during early months of rehab

Ces derniers paragraphes, extraits d’une chronique publiée en septembre 1997 dans le Globe and Mail à l’occasion du départ à la retraite de Grant Connell, illustrent bien qui il était.

La vivacité d’esprit et l’irrévérence de Connell sont ses cartes de visite, et la réception de son prix de finaliste de double de Wimbledon dans la loge royale des mains de la duchesse de Kent en 1993 en est un bon exemple. Cette année-là — inoubliable du fait que Jana Novotna avant sangloté sur l’épaule de la duchesse après avoir laissé filer une avance à la troisième manche de la finale féminine contre Steffi Graf —, Connell avait échangé quelques mots avec la duchesse. « Elle était très avenante et amicale », se souvient-il. Je me suis tourné vers elle et je lui ai dit : « Ne vous inquiétez pas, je ne pleurerai pas sur votre épaule. » Elle a souri et a dit : « Oh merci, j’espère que non. » »

Que ce soit le groupe de messieurs retraités qui ont travaillé comme chauffeurs bénévoles pendant la Coupe Davis (ndlr : le même mois) et qui se sont rassemblés autour de Connell comme s’il était l’un de leurs vieux copains, ou la dame qui organise les entrevues avec les joueurs à Wimbledon et qui a récemment fait remarque : « Grant Connell, c’est notre préféré », le joueur de 31 ans de Vancouver a des légions d’admirateurs.     

L’un de ces admirateurs est son ami de longue date et ancien joueur Martin Laurendeau, de Montréal. « J’ai la femme la plus formidable, cinq enfants, des amis et une collectivité ici », expliquait Connell. « Ça se passe bien. J’ai vu Marty l’autre jour et nous avons bien ri. Je pense que je mets les gens à l’aise assez rapidement parce que je peux plaisanter. Et honnêtement, tout au long de ce processus, tout s’est bien passé. J’ai tellement, tellement de chance de m’être réveillé heureux et reconnaissant, extrêmement reconnaissant. Plus amoureux de ma femme et de mes enfants que jamais. L’hémorragie aurait pu entraîner divers problèmes. Quand j’étais en réadaptation, j’ai vu beaucoup de personnes qui avaient été victimes d’un AVC semblable au mien et qui étaient dans un état lamentable. J’ai eu énormément de chance que cela n’a pas affecté mon humeur, mon attitude face à la vie ou quoi que ce soit d’autre. Au contraire, cela a renforcé mon appréciation de la vie. »

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