Desk full of tennis analytics

Photo: Shane Liyanage

La balle de tennis n’est pas différente de celle du baseball ou du golf, ou encore d’une rondelle de hockey, d’un ballon de basketball ou de football (rond ou ovale). Sur le plan de son utilisation, s’entend.

Celles et ceux qui propulsent ces objets tentent de marquer des points, évidemment, mais veulent également améliorer leur palmarès ainsi que les revenus découlant de ces prestations.

Et une partie de leur augmentation monétaire viendra de l’amélioration de leurs statistiques. Ces statistiques ont toujours existé et servi de référence dans plusieurs domaines de plusieurs sports. Toutefois, depuis une vingtaine d’années, on a poussé beaucoup plus loin, faisant de ce département une véritable science dont tous veulent être diplômés… surtout les dirigeants de ligues et d’équipes et, bien évidemment, les athlètes eux-mêmes.

Ce sont les statistiques avancées.

Basés sur l’accumulation de données le concernant, un joueur saura que son arme la plus efficace est le coup droit croisé, un revers coupé long de ligne ou le service sortant du côté avantage. Il apprendra que s’il force son rival à des échanges de plus de huit coups, il aura le dessus puisque l’autre faillit presque toujours lorsque le débat s’étire un peu trop. Cette joueuse saura que le pourcentage des amortis qu’elle tente est élevé et que sa prochaine adversaire n’est pas performante sur les changements de direction et les départs brusques. Etc.

Photo : Scoreandchange.com

Et ça prend des milliers de matchs en banque, visionnés par des analystes dédiés pour créer une base de données adéquate.

Le Montréalais Sébastien Lavoie est l’un de ces analystes de données statistiques et un des contributeurs de l’entreprise australienne Data Driven Sports Analytics (DDSA) fondée par Shane Liyanage, il y a cinq ans, et dont le slogan, on ne peut plus clair, se lit comme suit : « Les chiffres ne mentent pas ».

Lavoie est également un bon joueur de tennis, comme j’ai pu le constater… de très près. Il sait donc de quoi il parle. 

Cela dit, sa passion reste les chiffres et les statistiques et il s’est fait un plaisir de vulgariser pour moi (et pour vous) l’univers des statistiques avancées au tennis, afin d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Et, surtout, les avantages.

Au nombre des clients de DDSA, on trouve la Bélarusse Aryna Sabalenka et la Tunisienne Ons Jabeur, en plus du prometteur Finlandais Emil Ruusuvuori ainsi que les vétérans Taro Daniel (Japon), Albert Ramos-Vinolas (Espagne) et Thomas Fabbiano (Italie). D’autres poulains se joindront inévitablement à leur écurie comme à plusieurs autres qui ont rapidement vu le jour lors des deux dernières décennies dans le monde du sport en général.

J’ouvre ici une parenthèse pour vous rappeler le moment ou ces « stats avancées » ont été révélées au public en général.

L’EXEMPLE DU BASEBALL

Chaque fois qu’une organisation ou une ligue sportive se vante d’utiliser les statistiques avancées, on pense au sport qui a fait figure de précurseur, le baseball. Et, surtout, une de ses équipes, celle des Athletics d’Oakland. 

Son directeur général, l’ex-joueur Billy Beane, avait marqué les esprits en 2002. Grâce à une science mathématique appelée sabermétrie (sabermetrics), Beane avait bouleversé le barème d’évaluation en vue du recrutement, et ce afin de diminuer le budget salarial de l’organisation. En 2006, il avait réussi à bâtir la 5e meilleure équipe du baseball avec la… 24e masse salariale sur 30 équipes, ce qui était, même à cette époque, un véritable tour de force. 

Cette véritable révolution avait inspiré le livre de Michael Lewis, Moneyball: The Art of Winning an Unfair Game.

L’histoire devait par la suite être popularisée par le désormais célèbre film Le Stratège (Moneyball), sorti à l’automne 2011. Cette production a réussi l’exploit de récolter 14 nominations aux principaux galas de cinéma en 2012 (dont les Oscars), sans toutefois décrocher un seul honneur. 

Mais la tendance a fait des petits. Et depuis 2015, environ, on peut dire que le tennis est résolument entré dans la danse.

COMMENT ÇA FONCTIONNE

Photo : Shane Liyanage

À la base, le fondateur de DDSA, Shane Liyanage, est un scientifique de données, mais il a aussi été un joueur de bon niveau en Australie. Avec les possibilités technologiques, il s’est donné comme mandat de développer une interaction efficace pour tirer le meilleur des facettes physiques, mentales et tactiques de ce sport.

Sébastien Lavoie explique que le tennis est un sport fait sur mesure pour les statistiques avancées puisqu’il n’y a que deux athlètes sur une surface relativement petite et dont chaque mètre carré est capté par des caméras comme celle du dispositif Hawk-Eye, par exemple. « Ça permet d’avoir une référence exacte en termes de trajectoire de balle, dans toutes les frappes, et de mieux comprendre son positionnement sur le terrain. Peu importe qu’il s’agisse du début du point — en service ou en retour de service — et pour la suite de l’échange jusqu’à sa conclusion. Ces informations permettent aux athlètes de mieux se comprendre puis de pouvoir confirmer ou infirmer les tendances notées par l’entraîneur. Et les deux peuvent mieux cibler les correctifs à apporter lors des entraînements suivants. » 

Les données sont idéales pour préparer sa joueuse ou son joueur face à l’adversaire. 

« Lui, il commence toujours ses jeu avec un service sortant sur le côté égalité. »

Même s’ils ne l’avouent pas tous, la plupart des joueuses et des joueurs de haut niveau utilisent les statistiques avancées de nos jours, mentionne Lavoie. « D’une part pour leur propre développement, et ensuite pour une préparation optimale à chacune de leurs escales au long du calendrier annuel. Pour nos clients, ce qui est important, c’est de savoir quelle stratégie adopter pour le prochain match. Si notre client a déjà affronté cette personne dans le passé, nous avons des données concernant l’adversaire. Dans le cas contraire, nous allons compiler des statistiques sur le rival en question et accumuler ses dix dernières performances sur une surface donnée afin d’isoler les tendances dont notre client pourra tirer profit. »

Même avec une imagination fertile, l’amateur n’a aucune, mais alors là AUCUNE, idée de toutes les données récoltées par ces professionnels de l’informatique, afin d’améliorer le jeu de l’un ou de lui faire connaître l’adversaire pour en trouver la moindre faille.

Voici trois graphiques de DDSA dans le dossier de Serena Williams. Si vous ne l’êtes pas déjà, assoyez-vous. Vous pourriez en avoir le vertige.

SOURCE : DDSA
SOURCE : DDSA
SOURCE : DDSA

Mais il n’y a pas qu’une source de statistiques avancées. Il y a plusieurs entreprises qui les offrent à leur clientèle. J’ai demandé à Sébastien Lavoie ce que son entreprise faisait pour obtenir le plus de données sur un rival ? Doit-elle les acheter ou trouver le moyen de les obtenir à sa façon ? 

« La deuxième option. Nous pouvons obtenir une vidéo de beaucoup de matchs de la WTA ou de l’ATP, soit par nos canaux de distribution ou auprès d’entités nationales telles Tennis Australia. Nous faisons ensuite du visionnement rapide du match impliquant l’athlète qui nous intéresse à l’aide de logiciels que nous avons développés et qui, sans donner la précision du Hawk-Eye, nous permettent de dégager des tendances évidentes après compilation des coups. Nous classons ensuite chaque vidéo et les statistiques que nous avons extraits pour bâtir notre propre banque de données. Chez nous, par exemple, nous avons plus de 500 matchs de niveau junior, universitaire américain, Challenger… et au niveau WTA et ATP, on a plus de 2000 matchs dans notre base de données. En tout et partout, on doit avoir près de 8000 matchs. »

Un travail de moine, assurément ?

Infographie : DDSA / The Tennis Menu

Vous ne serez pas surpris que ces firmes de statistiques avancées aient des clients chez les juniors (à partir des 8-10 ans !) comme dans les circuits universitaires américains. Du côté des enfants et des ados, on travaille bien évidemment à améliorer le jeu du principal intéressé. Mais dès qu’on arrive au niveau universitaire, les demandes d’analyse des adversaires font partie du contrat. 

« Vous connaissez les énormes financements au sein des universités américaines. Les enjeux sont déjà importants, alors la commande est double. On veut savoir comment améliorer les performances de l’athlète, mais également quelles sont les failles dans le jeu rival. Par exemple, les Liam Draxl, Gabriel Diallo, Alexis Galarneau, Layne Sleeth ou Carson Branstine, qui ont brillé chez nos voisins du sud, au cours des deux dernières années, ont eu accès à ces outils qu’on n’aurait pu imaginer il y a 15 ans. »

Tant qu’à être dans les statistiques, j’ai posé une question simple à Sébastien Lavoie.

Prenons deux athlètes. Le premier est exclusivement conseillé par un entraîneur qui analyse ses forces et ses faiblesses et qui le conseille quant aux correctifs à apporter, sans aucun apport technologique. L’autre bénéficie des statistiques avancées. Le second aura-t-il un net avantage sur le premier ?

« Il y a trop de variables pour donner un pourcentage de supériorité, que ce soit de 2 %, 5 % ou 10 %. Femmes, hommes, surface, calendrier chargé, etc. Mais il est évident que les données accumulées donneront une information supplémentaire qui sera extrêmement utile pour la progression de cette personne. En fait, les statistiques avancées s’inscriront dans une cohésion avec l’entraîneur, dont les qualités humaines d’évaluation et l’expérience seront complétées par ces précieuses données. Et notre relation se fait justement avec l’entraîneur, pas avec le joueur. Ce sera à lui d’utiliser les données et de les intégrer à recommandations, lors d’entraînements et de matchs subséquents. »

Source : DDSA

TENNIS CANADA AUSSI

Au début de 2022, DDSA a fait profiter Tennis Canada de son expertise dans le cadre de la Coupe Billie Jean King. L’objectif était d’établir un style de jeu pour chaque joueuse de la Lettonie à partir des statistiques avancées.

Jocelyn Robichaud, chef du développement des 15 ans et moins de Tennis Canada, confirme l’intérêt de l’entreprise et croit que l’année 2023 peut être ciblée comme objectif tangible pour embarquer résolument dans ce train… à grande vitesse.

« C’est inévitable, tout le monde s’y mettra un jour, reconnaît d’emblée Robichaud. Actuellement, nous n’avons pas encore suffisamment de personnel pour y déléguer quelqu’un à temps plein. Il est donc normal que nous obtenions ce type d’aide de la part d’entreprises indépendantes, spécialisées dans le domaine. »

Déjà, chez Tennis Canada, des dossiers sont compilés sur chaque joueur canadien, avec des évaluations analysant la force, la puissance et l’endurance afin de connaître les qualités physiques de chaque athlète ainsi que par le biais de questionnaires d’évaluations psychologiques. 

« Mais nos seules données concernant les détails techniques sur leurs prestations, leurs gestes et leur sens du jeu viennent de statistiques de base sur leurs matchs et de l’œil de l’entraîneur impliqué. C’est donc évident que nous aimerions avoir un profil technique et tactique de chaque joueur beaucoup plus précis, ajoute Robichaud.

« Quand nous pourrons le faire systématiquement, nous pourrons commencer à bâtir nos profils complets de chaque athlète à partir de 10 ou 12 ans. Puis, toujours dans le processus de développement, nous aurons des comparaisons afin d’établir les courbes d’amélioration après trois, quatre ou cinq ans, afin d’optimiser son développement au sein de l’organisation. C’est sûr que ce sera un plus. » 

Les statistiques avancées ne transformeront pas le tennis en jeu vidéo. Mais il y a des matchs où elles auraient pu faire une différence au terme d’un duel interminable où les deux adversaires n’étaient séparées que par une marge infime. 

Par exemple, le 15 juillet dernier, Lesia Tsurenko a battu Kamilla Rakhimova, 6-7 (1), 6-4, 7-5, sur la terre battue de Budapest. Au terme du plus long match de l’année de la WTA (3 h 53), Rakhimova, la perdante, avait même engrangé un point de plus que Tsurenko, la gagnante. En effet, sur 251 points, la Russe a gagné 126 points et sa rivale ukrainienne, 125. 

Qui sait si une meilleure préparation, quelques données supplémentaires et une tactique différente auraient pu permettre à Rakhimova de renverser la vapeur…

Rien d’assuré, bien sûr. Mais le jeu en vaut la chandelle.

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