Le 14 janvier, au lendemain du lancement sur Netflix de la série documentaire Break Point, j’ai avalé goulûment les cinq épisodes proposés, car, dans le monde du tennis, cette production était la version mondiale de l’expression « the talk of the town ».
Mon constat : c’est bon, très bon, même.
Mais les avis divergent. Si plusieurs connaisseurs parlent d’une série peu révélatrice pour les profanes, sur des athlètes et des résultats déjà connus, d’autres applaudissent cette formidable — et inédite — incursion dans les coulisses du tennis professionnel.
Je fais partie de ceux qui ont tout simplement A-DO-RÉ cette série.
Mentionnons d’abord que l’intérêt est double. Non seulement pouvons-nous assister à des scènes se déroulant hors des courts et même entre les tournois, dans l’intimité des athlètes, mais les amateurs canadiens, en prime, avaient la chance de voir un des épisodes consacrés à leur compatriote Félix Auger-Aliassime qui a justement connu, en 2022, la meilleure année de sa jeune carrière.
Je reviendrai à Félix un peu plus loin, mais une petite mise en contexte s’impose pour celles et ceux qui ne seraient pas familiers avec cette production.
Après les pneus, les raquettes
Rappelons d’abord que Break Point est un documentaire de la même famille que Formula One : Drive to Survive, une série sur la course automobile qui a connu un succès planétaire et s’est attirée un concert d’éloges. La cinquième saison sera lancée le 24 février 2023.
Et le but est le même : donner un accès privilégié aux super vedettes du tennis. À la différence près que l’amateur de sport automobile est à des années-lumière de pouvoir approcher les pilotes de Formule 1 d’aussi près. Rappelons qu’outre les grands stades d’importants tournois, le spectateur a la possibilité de se trouver très près de ses idoles lorsqu’il pénètre dans les stades secondaires ou même lorsqu’il arpente les allées des nombreux courts d’entraînement où évoluent une et même deux fois par jour les joueuses et les joueurs. La proximité est réelle.
Cela étant dit, ce que nous a offert Netflix, avec le concours exprès des instances de la WTA et de l’ATP, n’a pas de prix (enfin… à part l’abonnement mensuel…).
Tout comme vous, j’avais vraiment hâte de visionner ce documentaire mettant en scène ces héros qui meublent ma passion d’une vie.
Et je n’ai pas été déçu. Une seule minute.
Accès (quasi) illimité
Certains observateurs allèguent que ces émissions plairont aux gens qui ne suivent pas activement le tennis ou qui connaissent peu le sport, mais un peu moins aux aficionados ou véritables fanatiques de la raquette. En effet, que peuvent-ils apprendre de plus que ce qu’ils ont suivi, semaine après semaine, au cours de cette année 2022 ?
Voilà où je diverge d’opinion.
Personnellement, au cours de ma carrière de quatre décennies (et demie) et de mes huit ans de couverture intensive de tennis comme reporter et descripteur à la télévision québécoise, j’ai pu pénétrer quelques-unes des coulisses du Masters 1000 disputé annuellement à Montréal.
Qu’il s’agisse de ma proximité avec la direction du tournoi, de mon accès aux conférences de presse en compagnie d’autres journalistes ou même de mon accès privilégié comme membre de la chaîne de télé, détentrice des droits de diffusion, disons que j’étais bien servi.
Mais jamais je n’ai pénétré dans un vestiaire, une salle de massothérapie, un gymnase ou même une chambre d’hôtel pour y observer l’un(e) de ces athlètes. Jamais je n’ai pu approcher une séance d’entraînement d’assez près pour entendre les conseils d’un entraîneur à son joueur ou encore les remarques d’un psychologue à une joueuse qui avait des problèmes d’anxiété.
Jamais.
Et c’est ça qu’offre Break Point. Et c’est pour ça que j’ai adoré, moi aussi, la série de Netflix. Peu importe mes expériences professionnelles, il n’y a rien qui puisse arriver avec ça.
Kyrgios pour débuter ? Vraiment ?
Bien sûr, le diffuseur en continu (streaming) doit attirer des clients. Il fallait donc « sortir fort », comme on dit en langage de hockey.
Tous ne sont pas d’accord — et même beaucoup ne sont pas d’accord — mais il est facile de comprendre le choix du diffuseur d’amorcer sa série avec le personnage le plus polarisant du tennis, l’Australien Nick Kyrgios. Ce choix s’adresse sans contredit à la faction qui apprécie le mauvais garnement du tennis pour son talent sans limites et sa façon de divertir, ainsi qu’aux téléspectateurs peu informés du personnage. Ils sont très nombreux, toutefois, à critiquer le choix de Netflix de lancer sa série avec un être controversé et qui représente pour plusieurs un modèle douteux pour la jeunesse.
Autre raison de la sélection de Nick : le fait que le premier tournoi majeur de l’année était celui de son pays, l’Australie. Si l’élimination rapide de Kyrgios en simple avait pu décevoir le producteur, son émergence inattendue en double et la conquête du titre en compagnie de son compatriote et ami d’enfance, Thanassi Kokinakis, a permis à Netflix de toucher le gros lot en matière d’histoire.
Un moment de réussite, et non de controverse, pour le « bad boy » de ce sport et qui allait paver la voie à un léger changement de trajectoire comme en fait foi son accession à la finale — en simple cette fois — à Wimbledon, six mois plus tard.
Et que dire de la victoire à domicile du Californien Taylor Fritz, sa plus grande, à l’important tournoi printanier d’Indian Wells, alors qu’aucun Américain n’avait remporté cette épreuve en 21 ans ? Ajoutons que le héros local s’est blessé à la cheville lors de l’entraînement, la veille de la finale, et qu’il a décidé de participer au match malgré l’insistance du médecin, du thérapeute et de son entraîneur qui lui recommandaient de déclarer forfait. Un vrai scénario de film.
Autre point positif : les situations… négatives. Car on ne raconte pas que des épisodes de gagnant(e)s. Il y a aussi la tristesse et la frustration de la défaite. D’ailleurs, comme le dit si franchement Fritz avec un sourire entendu au début de l’épisode qui lui est consacré : « C’est difficile d’être heureux au tennis parce que chaque semaine, tout le monde perd, sauf une seule personne. »
S’ils sont seul(e)s sur le court, ils n’ont pas qu’un seul adversaire. « Parce que les joueurs de tennis ne perdent pas seulement contre leurs adversaires… ils se battent eux-mêmes », souligne avec justesse l’ex-joueuse Angelikí Kanellopoulou, mère de la Grecque Maria Sakkari, pendant qu’elle regarde sa fille à l’entraînement sur un court de terre battue d’Athènes, leur ville natale.
Autre point intéressant, les nombreux commentaires des entraîneurs qui nous donnent une idée de l’importance vitale que prend l’aspect mental dans ce sport. Paul Annacone a dirigé deux des plus grands champions de l’histoire en Pete Sampras et Roger Federer, avant de collaborer avec Taylor Fritz. Il sait de quoi il parle. « Quel que soit votre niveau, vous êtes seulement aussi bon que votre esprit vous le permet. Votre esprit est ce qui va conduire votre capacité à réussir ce que vous voulez réussir sur le terrain. »
Quelques bémols
Plusieurs déploreront le manque d’accent sur l’année rocambolesque de Novak Djokovic, ou l’absence de l’Australienne Ashleigh Barty, championne à Melbourne puis, surprenante retraitée à l’âge de 26 ans.
Certains pourront également déplorer le fait que les trois mégastars des deux dernières décennies, aussi connues comme les membres du légendaire Big 3, soient quasiment occultées de la série. Sauf peut-être Rafael Nadal qui s’avère le protagoniste d’un Félix Auger-Aliassime (et de Casper Ruud) dans un des épisodes.
Comme le soulignait justement le journaliste Nicholas Richard du quotidien montréalais La Presse, c’est un angle assumé par le diffuseur qui voulait justement illustrer la « cassure » entre les exploits passés de ce trio et ceux qui prendront la relève dans le tennis masculin.
L’idée était de mettre en lumière la prochaine génération. Et si on y rencontre les Sakkari, Berrettini, Ruud, Auger-Aliassime, Badosa, Jabeur et autres, certains regretteront l’absence de deux des figures les plus jeunes et les plus prometteuses : Corie Coco Gauff et Holger Rune.
Mais ce n’est que partie remise. Tout comme Formula One : Drive to Survive, le tennis ne manque pas de matière à offrir à Netflix pour créer une bonne dizaine de saisons. N’oublions pas, en effet, que la Formule 1 a une vingtaine de pilotes seulement à offrir au public alors qu’au tennis, ils sont 256 participants — femmes et hommes — inscrits aux tableaux principaux de chaque tournoi du Grand Chelem. Avec un peu de chance, le diffuseur saura offrir nombre de bonnes histoires dans le futur.
Malgré leur célébrité, vous y verrez ces athlètes de l’élite parler d’une vie éprouvante de globe-trotter, de cette quête de victoires et de titres, de cette pression et de cette difficulté à vaincre leurs démons, allant de la confiance en eux jusqu’à la dépression, en passant par différentes phases d’anxiété, comme l’avouait l’Espagnole Paula Badosa, en 2022.
De leurs chambres d’hôtel où chaque pièce de vêtement recouvre le mobilier aux tables de massages ou aux bains de glace, on accède à des images inédites. Avec un même plaisir, on y rencontre leurs proches dans un environnement familial, tant en Australie, en Italie, en Grèce qu’en Tunisie.
FAA à RG
En choisissant Félix Auger-Aliassime, le producteur avait ciblé une des étoiles montantes et un des joueurs les plus athlétiques et les plus sympathiques, en même temps, du tennis professionnel.
Et il a encore gagné le gros lot lorsque le Québécois s’est qualifié pour un match de quatrième tour face au dieu vivant de Roland-Garros, Rafael Nadal. Mais voilà, comme l’entraîneur de Félix est l’oncle de Rafa et qu’il a accompagné le Majorquin pour la majorité de ses titres du Grand Chelem, dans quelle loge Toni Nadal allait-il assister au match ? Et les réponses franches — trop franches même — de l’oncle-entraîneur ont eu de quoi créer une controverse que Netflix a parfaitement scénarisée. À voir absolument.
Tout comme cette séquence où, alors qu’il attend de sauter sur le central, Félix voit arriver Nadal qui s’échauffe frénétiquement dans le couloir menant à l’entrée du stade, à sa manière coutumière, pendant que l’aspirant tente de rester concentré.
Et les regards…
Du bonbon.
« C’est énorme ce qu’on demande à ces joueurs-là », dit Marie Auger, une fière maman installée dans les gradins du stade Philippe-Chatrier, admirative d’une telle réalisation par son enfant. « Ça demande un potentiel à la fois physique, mental et émotionnel incroyable. Alors moi, j’ai beaucoup d’admiration pour mon fils. »
Compte tenu de toute la couverture dont Félix est l’objet depuis des années au Canada, l’épisode qui lui est consacré ne sera pas le plus surprenant pour les téléspectateurs de notre pays. Mais on aime le voir sur une terrasse parisienne, avec sa garde rapprochée, s’obstiner avec sa sœur Malika sur des anecdotes de leur enfance.
On y voit même des extraits de cette fantastique surprise, à l’occasion de son 22e anniversaire, organisée par Valérie Tétreault et la direction de l’Omnium Banque Nationale au début du mois d’août dernier, et dont le montage de Tennis Canada avait circulé sur les médias sociaux.
Réception positive
Les textes d’analyse du phénomène Break Point sont nombreux, ne serait-ce que tous ces commentaires meublant les réseaux sociaux. Si certaines dérives polluent les espaces sur Twitter et Facebook, la majorité des commentaires se révèlent de bonnes réflexions sur les bons et les mauvais côtés de cette série. Vous en aurez un échantillonnage assez complet sur cette question posée par le reporter spécialisé en tennis, l’Américain Ben Rothenberg.
Comme l’espace alloué à ce blogue m’empêche de vous les décliner, je crois que l’analyse du journaliste (et joueur de tennis) Miles Surrey du site The Ringer, ici, est aussi une bonne lecture complémentaire.
Courriel : privard@tenniscanada.com
Twitter : @paul6rivard
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