Sam Aliassime

Photo : Amélie Caron/Radio-Canada

Il était une fois un jeune homme qui vivait au Togo, un petit pays d’Afrique de l’Ouest enclavé entre le Ghana et le Bénin.

Comme tous ses camarades, il aurait bien voulu devenir un bon joueur de soccer, mais il n’avait pas un bon pied gauche lui disait-on. Il s’est alors tourné vers le tennis.

Une vie plus tard, Sam Aliassime a transmis la passion du tennis à son fils, devenu membre du Top 10 mondial, et mis sur pied une organisation structurée et encensée qui passera le flambeau à des dizaines et des dizaines de jeunes athlètes. D’ici et… d’ailleurs.

Portrait d’un père et d’un mentor.

CE PIED QUI A TOUT CHANGÉ

« En Afrique, tout le monde joue au foot. Chaque fois que tu vois un garçon, tu vois un ballon. Mais dans ma famille, nous étions 11 garçons et comme mon père avait un hôtel avec un court de tennis, nous avons tous un peu touché au tennis. Sauf que le ballon rond était le plus important », se rappelle Sam Aliassime.

« Au foot, moi, je n’étais pas capable de dribler ou de faire grand-chose avec le pied gauche. Je recevais le ballon, je tirais toujours avec le pied droit. Mon entraîneur m’a dit : “Sam, tu ne pourras pas faire carrière au foot, parce que tu n’es pas bon avec le pied gauche”. Là, j’étais découragé, mais je me suis mis à temps plein au tennis. »

Et le reste, c’est de l’histoire, comme le veut l’expression. Je n’ai pu m’empêcher de demander à Sam s’il avait retrouvé un jour cet entraîneur et s’il lui avait dit que ce commentaire allait déclencher une passion effrénée chez un homme dont le fils deviendrait un des meilleurs joueurs du monde.

Photo : Instagram/@felixaliassime

En souriant, il a répondu qu’il ne l’avait jamais revu. « Si je le retrouve au Togo, je lui dirai avec plaisir. Je lui dirai “Bravo de m’avoir dit la vérité.” »

Cette petite anecdote permet à Sam Aliassime d’enchaîner avec une autre, tout aussi sympathique qu’intéressante. Car tout est lié.

« Un peu comme au soccer, j’avais un point faible au tennis. Mon revers. Tout jeune, quand Félix a constaté que je n’avais pas un bon revers, il a commencé à me battre. C’est là que je me suis mis à lui répéter ceci : “Si tu veux jouer au tennis, tu dois être bon partout”. Et là j’ai tout mis en place pour qu’il développe un bon revers. Et, bizarrement, quand Félix est entré au Centre national d’entraînement de Tennis Canada, il avait un meilleur revers qu’un coup droit. Et ça, ça vient de quelque part. C’est parti de mon obsession du pied gauche », ajoute-t-il avec un clin d’œil.

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Puis, à 17-18 ans, alors qu’il était étudiant au collège, Sam avait déjà son école de tennis. Et il ne cessait de vouloir améliorer ses connaissances. « Il n’y avait pas d’internet pour trouver de nouveaux trucs d’enseignement. Alors quand des coopérants français venaient en vacances au Togo, je récupérais quelques magazines français de tennis et j’y puisais les conseils qu’on donnait aux entraîneurs. C’est ainsi que je préparais mes cours. »

Contrairement à son illustre rejeton, Sam Aliassime n’a jamais participé à des tournois importants.

« Oh non ! (sourire) Même quand on était joueur national, au Togo, on se croyait très bons. Mais non. Et maintenant, c’est intéressant pour moi d’y retourner, car lorsqu’on me présente des joueurs qui pensent pouvoir faire carrière, je leur dis : “Mais non, on a du travail à faire !”. Et c’est ce sur quoi je travaille. »

PASSER DU RÊVE À LA RÉALITÉ

Et c’est un peu cette absence de réussite par des joueurs africains qui motive Sam Aliassime dans l’énorme chantier qu’il a commencé à construire en 2022, au Togo ainsi qu’en Côte d’Ivoire, afin de voir un jour des jeunes Africains rester sur leur continent au lieu d’avoir à s’exiler pour réaliser leur rêve.

« Un jour, j’avais cette réflexion avec Félix. Il y a beaucoup de joueurs originaires d’Afrique qui ont réussi aux États-Unis, au Canada et en Europe. Comment ça se fait qu’il n’y en a aucun, originaire du continent. Alors je suis allé voir sur place ce qui s’y passe. Et SURTOUT ce qui ne s’y passe PAS. Tout est là, mais il n’y a pas de structure, tout simplement. Alors je me suis dit que j’allais essayer d’appliquer là-bas ce que j’ai mis en place ici. »

Photo : Sam Aliassime

C’est ce que j’ai appelé la « Méthode Aliassime », une expression qui a fait sourire un peu l’entraîneur québécois en pensant au titre français d’un film qui a mis en vedette le père des célèbres sœurs Williams.

« Il faudra donc essayer de prendre la structure d’ici et de l’adapter aux réalités africaines, puis de se donner des objectifs sur les dix prochaines années. Mais dès 2023, nous essaierons de donner la chance à 1 000 enfants, en Afrique, de commencer le tennis à 6 ou 8 ans et avec un système de progression sur le long terme. Car les enfants là-bas sont naturellement bons, coordonnés, athlétiques, qu’il s’agisse de tennis ou de foot, mais au niveau de la stratégie, il faut tout leur apprendre. Il y a du travail à faire de ce côté. »

Sam Aliassime privilégie les humains, pas les infrastructures. Il confirme qu’il y a suffisamment de terrains en Afrique alors la construction de courts ne fait pas partie de son projet. Mais n’allez pas lui demander si ce sont majoritairement des terrains de terre battue. Il sourira et vous ramènera à une réalité toute simple.

Photo : Paul Rivard

« Oui, je souris. J’ai reçu récemment un document de la Fédération française et intitulé “La Francophonie du Tennis : Réalisations et perspectives”. Un projet mis en place en 2021. Les gens de la Fédération m’ont contacté lorsqu’ils ont entendu parler de mon projet en Afrique, alléguant qu’ils ne savaient pas comment y faire bouger les choses. En feuilletant le document, j’ai vu qu’ils voulaient construire des tas de terrains en… terre battue. Écoutez, là-bas, les gens ont de la difficulté à trouver de l’eau pour boire. Oubliez les terrains en terre battue, ce serait gaspiller de l’eau que de les entretenir. »

ÉQUIPE AFRIQUE

Sam Aliassime a entraîné beaucoup de monde à sa suite. Il implique les entraîneurs de son académie. Il implique des gens de l’entourage de son fils. Il implique même, indirectement, Tennis Canada.

Tout a réellement démarré en octobre 2022 quand il s’est rendu à Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire, pour y évaluer une vingtaine de jeunes athlètes en provenance de plusieurs pays différents.

Photo : Supersportici.net
Photo : Sam Aliassime

« Après les avoir évalués, j’en ai sélectionné six, cinq filles et un garçon, dont le niveau me semblait suffisamment prometteur. Là-bas, on les a encadrés et entraînés. Mais comme il m’est impossible de m’installer en Côte d’Ivoire pendant des mois pour les surveiller, j’ai pensé à les faire venir ici, au Canada. »

Photo : Sam Aliassime

« On a demandé des visas pour eux et, au mois de juin, ces six jeunes âgés en moyenne de 12 ans, viendront s’entraîner ici, à l’Académie, pour six mois de formation. Par la suite, ils auront atteint un niveau suffisant pour qu’on leur fasse disputer des tournois chez eux. Ils seront en compétition pendant six semaines, puis retourneront dans leur famille pendant une semaine avant de reprendre un nouveau cycle de six semaines de compétitions. Et ainsi de suite pendant deux ans. »

Quand il était à Abidjan, en octobre, Sam a été touché par cette détermination dans les yeux des enfants. Ils s’approchaient de lui en disant « Monsieur Aliassime, j’aimerais être un champion. » Ces propos ont certainement décuplé la motivation de l’instigateur de cette opération.

« Mon rêve ce serait de voir l’un d’eux s’insérer dans le Top 100 junior. Ils ont le potentiel, ils ont le cœur, ils ont faim, ils ont envie de jouer. Ça m’a fait chaud au cœur de voir des enfants qui veulent se battre et qui veulent réussir. »

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À partir de maintenant, en février 2023, je lui ai demandé s’il pouvait évaluer en quelle année un premier Togolais, ou autre, pourrait se retrouver dans le classement mondial de la WTA ou de l’ATP

« J’y crois. Je me donne 10 ans. »

Même s’il n’y a que très peu de médiatisation autour de son implication, Félix Auger-Aliassime apporte une aide financière tangible à cette initiative en Afrique.

« La sélection des enfants, ça m’a coûté environ 8 000 euros (11 500 $ CA). Moi, je ne peux pas me le permettre, alors il m’a aidé », avouait franchement M. Aliassime au Journal de Québec, le 9 janvier dernier. Il confirmait également que Félix avait signé les lettres envoyées à l’ambassade canadienne pour assurer le soutien aux jeunes recrutés par son père.

Sa fille Malika, de son côté, s’occupe du côté administratif. Qui plus est, Frédéric Fontang, son entraîneur, ainsi que Nicolas Perrotte, son préparateur physique, iront en Afrique, à un moment choisi plus tard, afin de donner des conférences aux joueurs et aux entraîneurs locaux, nous apprenait le quotidien.

Félix Auger-Aliassime n’en est pas à ses premiers efforts caritatifs outre-frontière. Si vous l’avez raté, voici le résumé que j’en avais fait de sa visite au Togo, le 7 décembre dernier.

Photo : L’Équipe
Photo: #FAApointsforchange

LE MOIS DE L’HISTOIRE DES NOIRS

Février est le mois de l’Histoire des Noirs.

Depuis l’an dernier, Félix Auger-Aliassime est l’un des visages qui se trouvent dans la section du tennis sur l’important site consacré à ce sujet Breaking Boundaries et où l’on retrouve toutes ces personnalités ayant contribué à enfoncer cette barrière raciale au fil des décennies.

Images : breakingboundaries.tennisfame.com

Malgré la fierté qu’il éprouve de voir son fils être une personnalité mondiale et, ainsi, servir d’exemple, Sam Aliassime est plutôt discret sur ce sujet.

« Je serai franc. Personnellement, je n’y adhère pas énormément. Parfois, je me demande réellement si je suis noir ou pas. Dans ma tête, moi, je suis Canadien et je ne fais pas la différence », avoue-t-il avec franchise.

« Depuis deux ans, j’ai tout de même commencé à m’intéresser à la question et j’en ai discuté avec les enfants. Est-ce qu’on peut vivre sans souligner ces événements et vivre en étant tous pareils ? Le fait de rappeler certaines choses, ça ravive des choses pénibles. Aujourd’hui, si tu prends un garçon comme Félix, dans sa façon de voir les choses, il ne se dit pas “noir”… il se dit “Canadien”. Personnellement, je trouve que ça va trop souvent dans le négatif. Quand on me demande s’il y a du racisme, ici, je n’ai jamais voulu embarquer là-dedans parce qu’en tant que Togolais venu au Canada, j’ai été bien accueilli alors je ne m’intéresse que très peu à ça. »

Toutefois, Sam Aliassime reconnaît que la réalité a changé. Pour le mieux. Et que cette amélioration vient avec des exemples.

« Quand je suis arrivé dans ce club, ici à Québec, j’étais le seul noir. Aujourd’hui, il y en a plein d’enfants noirs qui jouent au tennis et qui y croient depuis qu’ils ont vu Félix évoluer. Même chose à Montréal. Il y a des noirs qui m’appellent et qui commencent à y croire. Sauf qu’on n’a pas besoin de passer par l’histoire des noirs, ils ont juste besoin de voir le modèle, un peu comme Tennis Canada a fait, à ce jour en étant une des fédérations les plus ouvertes. Ils ont mis des choses en place et ont dit : “Venez, vous êtes Canadiens”. Tant le gouvernement que les organismes comme Tennis Canada, ça montre que c’est un pays très ouvert. C’est pour ça que les enfants noirs se réfèrent à Félix… tout le monde y croit maintenant. Et je puis vous dire que c’est la même chose pour les entraîneurs. »

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