Le tennis a beaucoup changé au cours des trois ou quatre dernières décennies.  

Et, OUI, les athlètes frappent plus fort. Et une partie de leur force leur vient certes d’un entraînement où on a travaillé sur les muscles. 

Bien sûr, les deux athlètes qui apparaissent sur la photo sont probablement les plus représentatifs de cette nouvelle génération plus axée sur l’entraînement que celles qui l’ont précédée. J’ai voulu montrer, avec la Grecque Maria Sakkari et le Hongrois Marton Fucsovics, ce qu’on peut qualifier de corps les plus musclés du tennis.   

Il y en a d’autres, mais à des degrés moindres. Et enfin, une majorité d’autres joueuses et joueurs qui n’auront pas beaucoup changé par rapport à celles et ceux qui arpentaient les courts dans les années 1970, 1980, ou 1990. 

Mais, au fait, quel est le pourcentage d’importance d’une imposante musculature dans la réussite de ces professionnels de la raquette ? 

Pour avoir une réponse éclairée et professionnelle, je me suis rendu au gymnase du Centre national de tennis de Montréal, afin d’y rencontrer Virginie Tremblay, préparatrice physique de Tennis Canada.  

Virginie accompagne les athlètes tant au gym que dans le cadre de tournois disputés un peu partout sur la planète. Ce jour-là, elle y œuvrait en compagnie de deux de nos espoirs juniors féminins, Kayla Cross et Mia Kupres, à quelques jours d’une série de tournois en Turquie. 

Virginie Tremblay et Kayla Cross 

En force… mais aussi en souplesse 

Il convient d’abord de préciser le spectre de participation de ces « fitness coaches », comme on les appelle en anglais. Il s’agit, littéralement, de préparer les athlètes physiquement à ces dépenses d’énergie auxquelles ils devront faire face dans ce sport de plus en plus exigeant, tout en prévenant les blessures. Outre les exercices axés sur l’aérobie, la vitesse, l’agilité, la mobilité, la flexibilité et la coordination, il y a, forcément, le renforcement musculaire (force, puissance, endurance). 

« Au fil des années, le tennis est devenu de plus en plus physique. Le jeu est plus rapide, les frappes sont plus puissantes, les déplacements sont plus brefs et explosifs et on retrouve un nombre énorme de répétitions de ces frappes. Sans oublier les accélérations et les changements de direction », d’expliquer Virginie en guise d’entrée en matière. 

« Les demandes physiques ont donc considérablement augmenté et la nécessité de faire de la musculation est devenue primordiale. Non seulement le renforcement musculaire aide à améliorer plusieurs qualités physiques, dont la force, la puissance et la vitesse, mais aide aussi à prévenir des blessures. Et c’est aussi important et pertinent pour les hommes que pour les femmes. Et à tous âges ! » 

Bienfaits et… méfaits 

Il y a différents types d’entraînement de musculation : la « force maximale », la « force vitesse », la « force explosive » et la « force endurance ». Évidemment, on ne peut pas faire ce genre d’entraînement tous les jours. Il est donc important de varier l’entraînement avec des séances axées sur les capacités cardiovasculaires, la vitesse, l’agilité, la mobilité, la souplesse, la proprioception, etc. Il ne faut pas oublier que chaque athlète est différent et a des besoins différents selon ses propres objectifs.  

Avant d’aller plus loin, Virginie… qu’est-ce que la proprioception ? 

« La proprioception c’est l’habileté à situer son corps et différentes parties de son corps dans l’espace, par exemple l’équilibre et la stabilité. On peut travailler des exercices à une jambe, sur une surface stable ou instable, les yeux fermés ou ouverts, sur un ballon de type “Swiss”, ou de type “Bosu”, etc. C’est une portion très importante de l’entraînement chez les athlètes de tennis, étant donné les différentes surfaces de terrains et les différentes positions du corps au moment des frappes. Les joueurs doivent être stables dans des situations d’instabilité. On parle parfois d’équilibre dynamique. » 

Vous connaissez l’expression consacrée : « Trop, c’est comme pas assez ». Un bon équilibre demeure une solution gagnante dans bien des aspects de la vie. Tout en ayant en tête nos deux athlètes professionnels illustrés en haut de ce texte, j’ai demandé à Virginie quels étaient les bons, mais aussi les mauvais côtés d’une musculature trop intensément développée. 

D’abord, les bienfaits : 

Virginie Tremblay et Mia Kupres 

« La musculation aide à la prévention des blessures, surtout au niveau des tendons et des ligaments de certaines articulations comme l’épaule, la hanche, le genou et la cheville. Le nombre élevé de répétitions de frappes et de rotations du tronc peut favoriser des blessures de surutilisation. Donc, le fait d’être plus fort peut aider à prévenir certaines blessures au dos, aux abdominaux, aux adducteurs, à l’épaule et aux genoux », mentionne Virginie avant de conclure. « Le renforcement musculaire aide à apporter plus de force dans les frappes, à être plus puissant et plus rapide dans les accélérations et décélérations, plus explosif dans les changements de direction, et, ultimement, moins fatigué et moins courbaturé après des entraînements et des matchs. » 

Quand on sait à quelle fréquence s’enchaînent les rencontres, particulièrement lorsque l’athlète gagne, ces bienfaits n’en sont que plus évidents. 

Virginie Tremblay et Mia Kupres 

Maintenant, les méfaits : 

Selon la préparatrice physique de TC, un des principaux désavantages est d’être trop tendu musculairement.  

« Il y a beaucoup de changements de rythme au tennis et il faut constamment jongler entre “être relâché avant la frappe”, et “être tonique” au moment de la frappe (impact avec la balle). Si les muscles sont trop tendus, il y a un plus grand risque de blessures, comme des claquages, des élongations ou des crampes. L’amplitude de mouvement peut également être restreinte si la musculature est trop forte », souligne Virginie, en plus de nous résumer le danger d’une musculature trop développée. 

« Les muscles trop forts et trop proéminents peuvent limiter la mobilité de certaines parties du corps, plus particulièrement le tronc, et diminuer la rotation de celui-ci. Cette perte de mobilité peut empêcher le joueur de se rendre à certaines balles ou même d’exécuter certaines frappes. Résultat, le joueur peut compenser avec d’autres segments de son corps et développer de mauvaises habitudes qui à long terme peuvent devenir nuisibles », dit-elle. 

« Si un joueur est trop musclé du haut du corps, par exemple, il devra utiliser plus d’énergie pour déplacer cet excès de masse musculaire dans tous ses déplacements durant un match. À la longue, cela peut être épuisant et devenir trop exigeant physiquement, plus les matchs et tournois s’accumulent. » 

Et ça commence tôt.  

Aussitôt qu’on cible une jeune fille ou un jeune garçon pour faire partie de l’élite, le renforcement musculaire est une bonne chose. Mais comme l’athlète est en pleine croissance, la prudence est de mise. 

« Le simple fait d’apprendre les mouvements de base, avec une bonne technique, et en utilisant le poids du corps est suffisant à jeune âge. Puis, avec le temps, la croissance et la maturation, on augmente les charges et la complexité des exercices. Les entraînements de renforcement musculaire doivent être faits sur une base régulière, mais de façon contrôlée et adaptée à la phase d’entraînement dans lequel le joueur se trouve. » 

Virginie Tremblay et Kayla Cross 

Un atout incontournable 

S’il est indispensable d’avoir un entraîneur pour réussir sa carrière au tennis, le préparateur physique n’est pas loin dans la chaîne d’importance, lorsqu’il est question de l’entourage de l’athlète. De là à dire qu’il est indispensable, il n’y a qu’un pas que notre spécialiste franchit en souriant. 

« Les joueurs savent qu’ils doivent investir temps et argent sur leur corps afin de faire bonne figure dans le tennis d’aujourd’hui. Leur corps est leur outil de travail et s’il n’est pas à la fine pointe, ils ne pourront pas optimiser leur potentiel et avancer aussi rapidement que d’autres dans les tournois et dans le classement. La compétition est tellement féroce que maintenant la préparation physique est inévitable. Il faut voir ça comme un investissement à long terme afin d’avoir des carrières plus longues et sans blessures. » 

Tout dépend de son corps, finalement 

Ultimement, et malgré les risques que comporte une musculature aussi proéminente que les deux vedettes illustrées au début de cette page, j’ai demandé à Virginie Tremblay s’il était probable que nous voyions de plus en plus de femmes musclées comme Sakkari ou d’hommes bâtis comme Fucsovics au cours des prochaines années.  

Dans un monde idéal, oui, elle aimerait voir plus de joueurs et de joueuses plus musclés et dans une forme physique aussi impressionnante que ces deux-là, mais elle doute que cela se produise de sitôt, car cela demande beaucoup d’effort et de discipline autant au niveau physique que nutritionnel. En plus d’aimer s’entraîner en musculation. 

« De plus, il ne faut pas oublier la génétique et la morphologie des gens. Certaines personnes ont une génétique très musclée et d’autres ont une génétique plus mince. Ils ont beau faire de la musculation tous les jours, mais n’auront jamais de gros muscles. Tout dépend du type de fibres musculaires dans notre corps », précise Virginie, avant de conclure.   

« Selon moi, il n’est pas nécessaire d’être si musclé pour s’illustrer au tennis. Il s’agit d’être équilibré et d’avoir une musculature spécifique au tennis, c’est-à-dire d’être mince et élancé, agile, rapide, explosif, fort et endurant comme, par exemple, les Federer et Djokovic. » 

Voilà une dernière phrase qui, ultimement, nous fait comprendre pourquoi des cas comme Sakkari et Fucsovics ne se retrouvent pas en si grand nombre dans le Top 100 des circuits WTA et ATP. Car il y a autant d’exemples différents qu’il y a de morphologies d’athlètes. 

Et c’est justement là qu’interviennent ces préparateurs physiques, car ils ont les compétences et l’expérience pour déterminer ce qui sera bon… ou pas pour ces jeunes surdoués dont ils obtiennent la supervision en matière d’entraînement. 

Et, quelquefois, quand toutes les pièces sont en place, que les astres sont alignés, que les blessures sont évitées, survient une récompense qui n’a rien à voir avec l’argent ou la célébrité.  

Celle d’avoir été un maillon de la chaîne ayant permis à un ou une athlète d’atteindre les plus hauts sommets.  

Comme en 2019… 

Photos : Twitter 

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